La ministre de la défense allemande, Ursula von der Leyen, sur la base aérienne de la Bundeswehr à Incirlik, en Turquie, le 21 janvier 2016. | TOBIAS SCHWARZ / AFP

Ses alliés européens le lui demandaient, l’Allemagne va le faire. En adoptant mercredi 13 juillet, en conseil des ministres, un nouveau Livre blanc de la défense, le premier depuis dix ans, Berlin assure vouloir tenir un rôle nouveau sur la scène sécuritaire internationale, rôle dans lequel la Bundeswehr aura toute sa place.

« L’Allemagne est consciente de cette responsabilité croissante dans la sécurité et la stabilité internationale, elle est prête à stimuler le débat international de façon substantielle, décisive, précoce, et à assumer un leadership », dit le document. Il y a dix ans, l’Allemagne ne se définissait que comme un « partenaire fiable », absolument pas leader. Cette responsabilité croissante, peut-on lire, « est accompagnée d’engagements militaires ». En conséquence, « nous devons permettre à la Bundeswehr de produire des résultats dans tout le spectre des opérations, et nous assurer qu’elle est prête et capable de le faire ». Soit devenir un partenaire fiable dans les coalitions, y compris en combattant.

« S’impliquer plus tôt »

Ces déclarations forment un écho quasi parfait aux mots prononcés début 2014, à l’ouverture de la Conférence sur la sécurité de Munich, par la nouvelle ministre de la défense, Ursula von der Leyen. « Toutes les critiques adressées à l’Allemagne ne sont pas injustifiées. (…) La République fédérale devrait s’impliquer plus tôt, avec plus de détermination et de façon plus substantielle. (…) L’Allemagne n’est pas une île. Les conséquences de l’inaction peuvent être plus graves que celles de l’action », avait-elle alors déclaré.

Depuis, la situation internationale n’est pas jugée plus sûre. Annexion de la Crimée par la Russie et crise prolongée en Ukraine, extension de l’organisation Etat islamique (EI) et résurgence d’Al-Qaida, embrasement du Moyen-Orient… Il n’y a guère que le Brexit qui n’ait pas été intégré à la réflexion. Celle-ci a démarré en février 2015 et, pendant neuf mois, le ministère de la défense a consulté partis politiques et élus, Eglises et associations, think tanks et alliés. En 2014, la ministre avait lancé qu’il ne fallait « pas se cacher derrière la culpabilité passée de l’Allemagne pour fermer les yeux » sur les crises mondiales.

7 000 recrutements

En 2016, le gouvernement espère avoir convaincu les Allemands que leur armée a un rôle différent de celui du passé. Dans la gestion des crises, elle devra fournir « des contributions militaires et civilo-militaires actives », selon le document. La Bundeswehr a pour perspective de recruter 7 000 soldats supplémentaires (ils sont 185 000 aujourd’hui), ou encore d’acheter 100 chars Leopard de plus que prévu initialement, tandis que le budget de la défense passera de 34 à 40 milliards d’euros d’ici cinq ans. Même si l’Allemagne est loin de consacrer 2 % de son PIB au budget de la défense comme les Etats membres de l’OTAN s’y sont engagés – ce qui représenterait la somme astronomique de 60 milliards d’euros compte tenu de la richesse du pays –, l’augmentation est réelle.

Le Livre blanc définit l’Allemagne comme « un pays de taille moyenne sur l’échelle globale ». Son approche en matière de politique sécuritaire « repose sur les principes du multilatéralisme et du partenariat, qui s’appliquent aussi à la Bundeswehr ». Et le pays ne conçoit pas d’engagement militaire autonome : « L’OTAN, l’Union européenne, les Nations unies et l’OSCE continueront à former le noyau de notre approche », déclare le Livre blanc. Le document ne mentionne explicitement ni amis ni ennemis, contrairement à ses homologues français ou anglais. Mais la Russie, qualifiée de « partenaire » dans le Livre blanc de 2006, est aujourd’hui critiquée dans le débat politique pour « remettre en question l’ordre de paix européen » et « affirmer une rivalité stratégique » avec l’Occident.

Les menaces principales citées dans le document sont le terrorisme transnational, les attaques dans les domaines du cyber et de l’information, et les conflits hybrides. Les migrations incontrôlées n’arrivent qu’en huitième et avant-dernière place, avant les pandémies.

Avions de reconnaissance en Syrie

Cette photo d’archive de juin 2010 montre un Tornado lors d’un exercice près de Messstetten, dans le sud de l’Allemagne. | PATRICK SEEGER / AFP

Alors qu’Angela Merkel a longtemps paru plus réservée que son prédécesseur social-démocrate Gerhard Schröder face aux engagements de la Bundeswehr, ces derniers se sont récemment multipliés. Depuis deux ans, la Bundeswehr forme en Irak des peshmergas kurdes dans la lutte contre l’EI. De même, après les attentats du 13 novembre 2015 en France, l’Allemagne a accepté d’envoyer, entre autres, des avions de reconnaissance au-dessus de la Syrie et de l’Irak pour aider ses alliés. Et, au dernier sommet de l’OTAN, à Varsovie, les 8 et 9 juillet, l’Allemagne a confirmé qu’elle prendrait le commandement d’un des quatre bataillons déployés dans les pays baltes et en Pologne.

Mais son engagement reste malgré tout limité. Si le gouvernement allemand envoie des Tornado en Syrie, il ne s’agit que d’avions de reconnaissance. Et les déclarations de Frank-Walter Steinmeier, ministre des affaires étrangères social-démocrate, dénonçant les « bruits de botte de l’OTAN » contre la Russie, montrent que le sujet reste extrêmement sensible.

Etonnamment, c’est sur un point qui n’intéresse pas les partenaires de l’Allemagne que l’accord au sein de la coalition au pouvoir à Berlin semble avoir été le plus difficile à obtenir : l’engagement de la Bundeswehr sur le sol allemand, en cas de nécessité. Ursula von der Leyen espérait étendre le champ d’intervention de la Bundeswehr actuellement très encadré par la Loi fondamentale. Elle en a été empêchée par le Parti social-démocrate.