« Le Monde » a sollicité des écrivains, des artistes et des scientifiques pour savoir quels auteurs les aident à « tenir bon » dans une période souvent perçue comme difficile à saisir et menaçante. Selon eux, quels livres pourraient donner du sens à ce que nous traversons, communiquer de la force, de l’espoir ou de la joie ? Voici leurs réponses.

Sylvie Serprix

Hippolyte ­Girardot, acteur, recommande « La Grande Arche », roman historique de Laurence Cossé : « J’ai rarement lu un récit aussi poignant et captivant, érudit sans être pompeux, merveilleusement incarné. »

Roland Gori, psychanalyste et écrivain, préconise « Conscience contre violence » , roman historique et polémique de l’Autrichien Stefan Zweig : « Zweig, si cruellement lucide, si férocement perspicace, délivre le message d’espoir le plus salubre qui soit. »

Laurent Grasso, plasticien, prescrit « Histoires d’œils », essai d’histoire de l’art de Philippe Costamagna : « Le ­bonheur communiqué par l’auteur de découvrir des œuvres, d’étudier, de voyager amène une énergie ­précieuse en ces temps troublés. »

Arthur H, auteur-compositeur-interprète, prône « Anima  », roman du Libano-Canadien Wajdi Mouawad : « Notre monde chaotique permet ça : dans le fracas des écroulements, des éboulements, dans la disparition progressive de tout ce qui est archi-usé, naît la possibilité de nouvelles formes. »

Joana ­Hadjithomas, cinéaste et plasticienne, recommande « Le prix que nous ne voulons pas payer pour l’amour », recueil de poèmes de la Libano-Américaine Etel Adnan : « Opposer la poésie au chaos du monde, à cette obscurité qui gagne le territoire, qui nous gagne. »

Marie-France ­Hirigoyen, psychiatre et psychothérapeute, prescrit un classique latin, le « Manuel d’Epictète » : « Epictète ne nous propose pas un bonheur facile qui serait un déni de l’insécurité du monde. Il nous encourage à une résistance active contre les obstacles qui se dressent devant nous. »

Ivan Jablonka, historien, appuie « La Trêve », récit de l’Italien Primo Levi : « Nous vaincrons les forces de mort mais, avant cela, il nous faudra mourir et vivre, mourir à travers les innocents massacrés et revivre au nom de leur vie même. »

Hédi Kaddour, écrivain, prône « La Mort de Virgile », roman de l’Autrichien Hermann Broch : « La Mort de Virgile n’est pas un de ces ­livres qui prétendent lutter contre la ­tyrannie en utilisant le même langage pourri de kitsch, de clichés et de facilités que les tyrans, mais il leur est pourtant impitoyable. »

Camille Laurens, écrivaine, préconise les romans « Ostinato » et « Pas à pas jusqu’au dernier », de Louis-René des Forêts, ainsi que « Jacques le Fataliste et son maître », de Denis Diderot : « Confronté aux infinies questions de la vérité, de la permanence du moi, de la ­puissance du langage, Louis-René des Forêts répond par l’incertitude et le doute. »

Pierre-Marie Lledo, directeur du département de neuroscience de l’Institut Pasteur, conseille le « Discours de la ­méthode », de René Descartes : « La philosophie du doute proposée par Descartes permet de remettre en question les concepts, de se débarrasser de ses préjugés pour reconstruire les savoirs, en privilégiant la ­raison. »

Emily Loizeau, auteure-compositrice-interprète, conseille « Seul le bleu reste », recueil de poèmes de Samaël Steiner : « Ce recueil est magnétique. Tout à la fois intime et tourné vers le monde, il se lit comme une nouvelle limpide et vivante. »

Mathias Malzieu, musicien et écrivain, appuie « Tout est illuminé », roman de l’Américain Jonathan Safran Foer : « A l’heure où je vous parle, je suis accoudé au comptoir de mes plus beaux souvenirs de lecture. Ceux qui vous arrachent au réel et pas seulement pour le fuir, mais pour le mettre en perspective. »

Miossec, auteur-compositeur-interprète, conseille le « Journal littéraire », de Paul Léautaud : « Donc voilà, Léautaud. “Pour tenir bon en cette période si troublée”, il faut savoir rire avec Paul. »

Emmanuelle ­Pagano, écrivaine, recommande le récit « Echappée » , d’Agnès Dargent : « Chaque ligne lue m’offre une échappée : une échappée de notre monde morose et macabre. »

Elisabeth ­Roudinesco, historienne de la psychanalyse, prescrit « L’Homme qui rit », de Victor Hugo : « Les 800 pages de ce roman dressent le tableau frénétique d’une société qui, pour être différente de la nôtre, n’en est pas moins évocatrice de notre histoire immédiate. »

Lydie Salvayre, écrivaine, appuie « La Nouvelle Lutte des classes », essai polémique du slovène Slavoj Zizek : « Repenser, devant l’incompréhension réciproque qui peut se lever entre les réfugiés et nous, la notion de prochain. »

Riad Sattouf, auteur de bande dessinée, prône « Jimmy Corrigan », roman graphique de l’Américain Chris Ware : « C’est un livre vertigineux, total, plein d’humour, de peine, de sensations, et d’éblouissement pour la vie, la nature, le travail des hommes. »

Peter Szendy, philosophe et musicologue, recommande « Cosmicomics », recueil de nouvelles de l’Italien Italo Calvino : « Ce que les Cosmicomics inventent, c’est un anthropomorphisme de l’ère de l’anthropocène, lorsque l’homme est partout – partout sur le point de n’être nulle part, de n’être plus. »

Alice Zeniter, écrivaine, préconise  « King Kong Théorie », essai polémique de Virginie Despentes : « King Kong Théorie me rappelle que la colère est belle quand elle sert de car­burant à la lutte, quand elle dépasse les ­limites du corps individuel où elle ­pourrait, sinon, pourrir jusqu’au ressen­timent, à l’amertume. »