Philippe Mauguin, directeur de cabinet du ministère de l’agriculture et candidat à la présidence de l’INRA, lors de son audition mercredi 13 juillet à l’Assemblée nationale. | PATRICK KOVARIK / AFP

Sur le gril. Mercredi 13 juillet, Philippe Mauguin, directeur de cabinet du ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, a présenté son projet pour l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) devant la représentation nationale. Candidat à la présidence de l’institut, il a été successivement auditionné à l’Assemblée nationale et au Sénat par les commissions des affaires économiques, ainsi que le prévoit la loi de 2013 sur la nomination des responsables des établissements publics de recherche.

Le candidat, qui avait été présélectionné par un comité d’experts réuni le 1er juillet, a recueilli la majorité des suffrages des deux chambres, après plusieurs heures de questions-réponses tendues avec la représentation nationale – au Sénat par 10 voix pour, 10 voix contre et 1 bulletin blanc, à l’Assemblée par 39 voix pour, 25 voix contre et 1 bulletin nul. Le reste devrait être une formalité : sa nomination interviendra en conseil des ministres par décret du président de la République durant l’été.

Climat difficile

Ces auditions sont intervenues dans un climat difficile : depuis plusieurs mois, l’entourage de François Houllier, président de l’INRA depuis 2012 qui souhaitait se présenter à un second mandat, alertait sur la candidature potentielle de Philippe Mauguin. Un collectif de hauts responsables de l’INRA,@INRAlert, a récemment diffusé, auprès de la presse et des parlementaires, un dossier présentant les griefs à l’encontre de son « parachutage » : sa position éminente au sein d’un ministère de tutelle de l’INRA l’aurait placé en position de conflit d’intérêt ; des propositions non sollicitées auraient été faites à François Houllier pour qu’il cède sa place à la tête de l’organisme ; Philippe Mauguin, ingénieur général des ponts, eaux et forêts, non titulaire d’un doctorat, n’aurait pas l’étoffe du chercheur nécessaire pour diriger un tel organisme…

Le collectif Science en marche s’inquiétait de la possible nomination d’un « politique non scientifique » à la tête de l’INRA. Dans le monde agricole, Xavier Beulin, président de la FNSEA, principal syndicat d’exploitants, qui a eu l’occasion de batailler avec le gouvernement socialiste, avait dit sa préférence, « à titre personnel », pour François Houllier.

Plus récemment, une pétition lancée par@INRAlert pour s’opposer à la nomination de Philippe Mauguin a recueilli près de 3 000 signatures, dont près de 2 000 des personnels de l’INRA – qui compte environ 8300 agents. Frédéric Dardel, président de l’université Paris-Descartes, a démissionné de la présidence du conseil scientifique de l’INRA le 6 juillet pour protester contre le fait que l’Elysée envisage la nomination à la tête de l’INRA d’une personnalité qui ne soit pas un « scientifique reconnu ». Enfin, le 8 juillet, un groupe de parlementaires de l’opposition (LR, UDI) a adressé à François Hollande un courrier lui demandant de surseoir à ce projet de nomination, qui risquerait de se faire « au détriment de la recherche française ».

Déluge de critiques

Face à ce déluge de critiques, Philippe Mauguin qui avait été pressenti en 2012 pour prendre la tête de l’INRA mais avait préféré rester auprès de Stéphane Le Foll, s’était tu jusqu’alors. Il s’en est expliqué devant les parlementaires : la procédure de candidature est secrète, il n’y avait donc pas lieu de s’exprimer, a-t-il fait valoir. Mais il s’est dit heureux de pouvoir enfin répondre à la « campagne de presse » orchestrée contre sa candidature, qu’il a présentée « humblement mais de façon passionnée ».

« Je suis ingénieur agronome, c’est bien en tant que tel que je présente ma candidature, a-t-il d’abord déclaré. Je respecte éminemment la fonction de docteur en science, mais un ingénieur peut piloter un tel organisme. Les résultats de l’INRA sont le fruit d’une communauté unique, de chercheurs, mais aussi d’ingénieurs et de techniciens », a-t-il rappelé avant de développer ses cinq priorités face aux défis agronomiques mondiaux : management des ressources humaines de l’organisme ; stratégie scientifique qui visera à approfondir les connaissances en agroécologie ; innovation là encore tournée vers l’agroécologie et les acteurs de terrain ; coopération avec l’enseignement supérieur et les autres grands organismes ; coopération internationale pour renforcer le rang de l’INRA au niveau mondial.

« Conditions républicaines »

Face au tir de barrage des parlementaires de l’opposition (LR et UDI notamment), sur son manque d’expérience de la recherche, sur son possible conflit d’intérêt, sur la déstabilisation de l’INRA induite par sa nomination, il a répondu. « Je le dis sur l’honneur, je n’ai, à aucun moment, demandé à accéder au dossier de candidature de François Houllier. » Il n’a donc pas pu décrire ce qui différencie les deux projets. De même, il assure n’avoir exercé aucune influence sur la composition de la commission d’experts chargée d’auditionner les deux candidats. « Je connaissais cinq de ces experts croisés au cours de mon parcours professionnel, mais je pense que François Houllier connaissait ces six personnalités. »

Sur le climat de défiance qui l’attend à l’INRA, aux personnels qui ont signé la pétition contre lui, « je m’adresse à eux, je me suis présenté dans des conditions républicaines ». L’agroécologie, au cœur d’une loi sur l’avenir de l’agriculture votée en 2014, « n’est pas un concept politique, elle est fondée en recherche et les chercheurs ont envie d’y aller ». Sur la biotechnologie, l’INRA ne doit pas désarmer, ne serait-ce que pour évaluer les risques. Sur l’indépendance des chercheurs face aux pressions politiques ou économiques, il s’engage à « ne pas interférer sur la réalité des rapports de l’INRA ».

Il ne s’est cependant pas prononcé sur l’accusation de recasage politique, et n’a pas répondu à Lionel Tardy (LR), qui l’invitait à aller « jusqu’au bout de son engagement » en restant auprès de Stéphane Le Foll jusqu’à la prochaine élection présidentielle.