Safran espère encaisser plus de 2 milliards d’euros avec la vente de Morpho. | Gilles Bassignac / CAPA Pictures / Safran

Philippe Petitcolin, directeur général du motoriste Safran, a toutes les raisons d’être satisfait. A l’occasion du salon de l’aéronautique de Farnborough (Grande-Bretagne), il a fêté, lundi 11 juillet, la production du 30 000 exemplaires du CFM56, le best-seller des moteurs d’avions qui équipe les appareils moyen-courriers, les plus vendus au monde.

Le grand patron de l’équipementier n’a pas non plus à se plaindre de l’avancée du projet de cession de Morpho, filiale spécialisée dans les activités de sécurité et de biométrie. « Il y a un vrai intérêt », se félicite M. Petitcolin. « Si nous trouvons de bons projets parmi les cinq acheteurs issus des shorts-tests [premier tri parmi les candidats], nous vendrons », a-t-il précisé. Safran espère encaisser plus de 2 milliards d’euros avec la vente de Morpho. C’est la somme investie par le prédécesseur de M. Petitcolin à la tête du groupe pour constituer, notamment à coups de rachats, ce pôle spécialisé dans la sécurité. En clair, Safran ne veut pas en être de sa poche. En 2015, Morpho a réalisé un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros.

Nouvelles exigences liées au numérique

Toutefois, le prix ne sera pas le seul critère de décision. Safran se sépare de Morpho pour des raisons stratégiques. Pour le développer sur le terrain des applications numériques et commerciales, le motoriste aurait été conduit à lui consacrer l’essentiel de ses capacités d’investissement, selon M. Petitcolin. Au détriment de son cœur de métier. Trop dispendieux, trop risqué, a jugé le patron de Safran. Pour autant, il ne souhaite pas laisser Morpho entre de mauvaises mains. Outre le prix, l’acheteur devra aussi présenter un « projet industriel » cohérent, explique le patron du motoriste. « Ce qui m’intéresse, ce sont les projets. Si nous devons nous séparer de Morpho, c’est pour lui offrir un plus bel avenir » qu’au sein de Safran, a-t-il ajouté.

Une manière de fixer le cadre du rachat. Le futur repreneur devra être en prise avec le monde du numérique. En particulier avec les GAFA (Google, Amazon, Facebook et autre Apple) mais aussi avec les mastodontes du téléphone portable, comme le coréen Samsung, et des télécommunications. Un passage obligé pour satisfaire aux nouvelles exigences de sécurité liées au développement du numérique. « Nous savons sécuriser le monde physique », plaide M. Petitcolin. En revanche, « le monde numérique n’en est encore qu’au début. Pour Morpho, le développement, c’est la recherche dans le monde numérique ».

Le portrait de l’acheteur tracé par le patron de Safran correspond presque trait pour trait au duo composé par le fonds d’investissements américain Advent associé au français Oberthur Technologies, spécialiste de la sécurité numérique. Le tandem est l’un des cinq candidats retenus pour le rachat de Morpho avec l’autre industriel Gemalto, ainsi que les fonds Bain Capital, KKR et CVC.

Complémentarité industrielle

L’atout du couple Advent-Oberthur, c’est sa « complémentarité » avec Morpho. Une complémentarité industrielle d’abord. Quand Morpho a surtout décroché des accords avec des autorités publiques, des gouvernements, à l’image de ses contrats avec 45 des 50 Etats américains pour établir des permis de conduire, Oberthur a axé son développement avec des entreprises privées. Il est le partenaire de Samsung pour sécuriser les objets connectés. Morpho réalise ainsi 70 % de son chiffre d’affaires avec le secteur public, tandis qu’Oberthur enregistre 90 % du sien avec le privé.

Un rapprochement des deux entreprises permettrait à Oberthur d’utiliser des technologies biométriques développées par Morpho pour activer un nouveau service de paiement sans contact sur le mobile en Chine. Cette nouvelle application, proposée par Samsung et Oberthur, permettra aux usagers d’utiliser leur mobile pour prendre le métro. Une autre expérience de paiement sans contact sera menée cet été par Oberthur en partenariat avec les montres Swatch à l’occasion des jeux Olympiques de Rio au Brésil.

On voit mal désormais comment Safran pourrait renoncer à vendre Morpho. Surtout, laissent entendre des proches du dossier, après avoir révélé des données confidentielles et sensibles sur sa filiale à la concurrence à l’occasion de la mise en vente. Très volontaires, Advent et Oberthur veulent donner des gages à l’Etat contre un risque éventuel de transferts de technologies. Le duo se dit prêt à s’engager à maintenir le siège social de Morpho en France. Pour rassurer un peu plus encore, Oberthur prévient déjà que l’américain Advent sera amené à s’effacer à moyen terme. In fine, l’avenir de Morpho est fixé. Selon M. Petitcolin, le nom du repreneur sera connu « fin septembre ».