Au Bataclan, deux heures d’intervention policière sans négociation
Au Bataclan, deux heures d’intervention policière sans négociation
Par Simon Piel
Avant l’assaut, quelques coups de fil ont été échangés avec les terroristes, lesquels ont demandé aux policiers de partir sous peine de continuer à tuer.
L'assaut des forces de police a eu lieu peu après 22 heures. | Corentin Fohlen / Divergence pour "Le Monde"
Juste avant l’assaut, alors que les policiers étaient dans le bâtiment, l’un des terroristes du Bataclan a transmis un numéro de téléphone portable aux hommes de la brigade de recherche et d’intervention (BRI), l’unité d’intervention de la police judiciaire. Le numéro a aussitôt été transmis au négociateur — celui qui avait parlé avec Amedy Coulibaly lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher. Mais de négociations il n’y a jamais eu.
Les hommes en armes du Bataclan, qui avaient déjà tué à la kalachnikov des dizaines de personnes venues assister au concert du groupe Eagles of Death Metal, ne l’ont jamais envisagé. Cinq coups de fil ont été échangés avec la police. A chaque fois, ils ont demandé aux policiers de partir, sans quoi ils allaient continuer à tuer.
Vers 22 heures, au début de l’attaque, un policier d’une brigade anticriminalité pénètre dans l’enceinte du Bataclan : il est le premier à constater l’étendue de l’horreur. Au rez-de-chaussée, il tombe nez à nez avec l’un des assaillants. Selon des sources policières et judiciaires, il tire sur le terroriste et la ceinture d’explosifs se déclenche. Est-ce l’assaillant qui a mis lui-même en route l’explosion de la ceinture ou est-ce le tir du policier, voire la chute, qui l’a déclenchée ? L’enquête le déterminera dans les jours qui viennent.
A l’arrivée des policiers, le silence est effroyable
Quand les policiers d’élite arrivent au Bataclan, aux environs de 22 h 15, toujours selon plusieurs sources policières et judiciaires, ils assurent la relève des personnels de la sécurité publique. A l’intérieur du bâtiment, les coups de feu ont cessé, décrit l’un des policiers présents. La situation est tellement confuse que certains croient que les terroristes ont pris la fuite. Equipés de fusils d’assaut, de gilets lourds et de casques à visière blindée, les policiers d’élite de la BRI pénètrent dans la salle de concert. « C’est l’enfer de Dante », raconte l’un des hommes qui est entré dans la salle. Plusieurs centaines de corps sont allongés dans la fosse. L’odeur est insoutenable, le silence effroyable.
Seules des sonneries de téléphone retentissent. Sans doute des proches, informés du drame, qui tentent de joindre un ami ou un membre de leur famille qu’ils savent au Bataclan. Au sol, il y a des morts et des blessés, mais aussi des personnes qui se sont allongées et qui ont cessé de bouger dans l’espoir que les assaillants les croient morts. Ceux qui peuvent marcher sont invités à se lever et à quitter les lieux. Pendant que le RAID sécurise le rez-de-chaussée, les policiers de la BRI, deux formations d’une vingtaine d’hommes, progressent « en colonne » et commencent autour de 23 heures à monter dans les étages. Il faut enjamber les corps et les douilles. Il faut évacuer les blessés. Une chaîne médicale d’urgence est mise en place en bas de l’escalier dans la perspective d’un assaut meurtrier.
Des civils cachés dans les faux plafonds, dans les placards
La première formation de la BRI emprunte l’escalier de gauche, la deuxième celui de droite. Un bouclier de type « Ramsès » protège les policiers. Chaque fois qu’une porte est ouverte, des grappes de civils paniqués s’échappent. Certains se sont cachés dans les faux plafonds, d’autres dans des placards. Il n’y a toujours aucun coup de feu. Au premier étage, une dernière porte sépare les forces de l’ordre des assaillants. Il est 23 h 15.
Une discussion s’engage, les terroristes donnent un numéro de portable aux policiers. Un premier contact téléphonique a lieu à 23 h 27. Au téléphone avec le négociateur, les assaillants s’énervent, demandent aux policiers de partir, menacent de décapiter des otages, de les jeter dans le vide du balcon et de se faire exploser. Ils parlent de la Syrie. Quatre autres échanges téléphoniques ont lieu. Aucune négociation ne semble possible. Devant l’urgence, le préfet de police donne son autorisation pour l’assaut. Il est 0 h 20.
Les hommes de la BRI ouvrent la dernière porte qui les sépare des deux terroristes présents à l’étage : elle donne sur un couloir étroit d’une dizaine de mètres de long. Plusieurs civils sont dans ce couloir, au milieu de ce qui s’annonce comme une confrontation entre les kalachnikovs des terroristes et les fusils d’assaut HKG36 de la BRI. La vingtaine d’otages qui se trouvent au milieu est évacuée dans la confusion. Alors que la BRI avance, les otages se réfugient en rampant derrière le bouclier.
« C’était l’Hyper Cacher puissance dix »
Les policiers lancent une demi-douzaine de grenades. Les premières sont détonantes, pour aveugler. Les secondes, défensives, pour progresser. Les terroristes tirent à feu nourri. De manière cadencée, preuve que le maniement des armes leur est familier. « A ce moment, je me suis dit qu’on allait devoir marcher sur nos collègues en tête de colonnes pour continuer à avancer », raconte l’un des policiers.
Une balle de kalachnikov qui ricoche sur le mur gauche du couloir vient se loger dans la main gauche de l’un des policiers. Comme beaucoup d’autres présents au Bataclan, il avait participé à l’assaut contre Amedy Coulibaly. « Mais ce soir, c’était l’Hyper Cacher puissance dix », assure l’un de ses collègues. « Il n’y avait pas d’espace pour circuler et les terroristes s’étaient réfugiés derrière les otages. » Peu après, les policiers voient l’ombre d’un des terroristes s’écrouler — il a sans doute été touché par l’un de leurs tirs. S’ensuit une puissante explosion actionnée par une ceinture bourrée de TATP : elle entraîne la mort du deuxième assaillant. L’assaut a duré trois minutes. Une éternité. Sur le bouclier qui protégeait la colonne d’assaut, plus de trente impacts de balle ont été retrouvés.