Nice, le 15 juillet, quelques heures après l’attaque, la veille au soir, qui a fait au moins 84 morts. | Claude Paris / AP

Editorial. Accablement. Tristesse. Colère. Les mots disent mal le mélange de sentiments provoqué par ce nouveau massacre perpétré en France. Ils disent mal cette impression d’une saturation de violence après les attentats de janvier et novembre 2015. Le moyen choisi – ce camion qui fonce dans la foule du 14-Juillet, jeudi soir, sur la promenade des Anglais, à Nice – ajoute, par sa simplicité brute, à la barbarie de cette attaque terroriste.

Le tueur avait choisi cette date, le 14 juillet, où la France salue la liberté et les droits de l’homme – c’est-à-dire tout ce qui fait peur aux tenants du dernier des totalitarismes en cours, celui que porte l’islamisme. Il avait choisi le lieu et l’heure, l’endroit et le moment précis où l’on vient en famille, avec les enfants, assister aux festivités qui, partout en France, accompagnent cette célébration. Plus de 80 personnes sont mortes, d’autres grièvement blessées. Même si l’on ne peut exclure l’acte d’un fou, il a été pensé. C’est celui d’un homme qui voulait tuer en masse, le plus grand nombre possible, pour atteindre un symbole.

La France sortait à peine de ce mois de fête apportée par l’Euro. A raison, elle avait choisi de ne pas annuler cette Coupe d’Europe de football par crainte d’un nouvel attentat. Elle avait décidé de ne pas se laisser intimider par les tueurs de novembre et de maintenir ces quatre semaines de foule rassemblée, par dizaines de milliers de personnes, d’un point à l’autre du pays. Pour assurer cette « normalité » affichée à dessein, il a fallu de nouveau mobiliser les femmes et les hommes d’une police et d’une gendarmerie déjà rudement éprouvés. Ce fut un succès.

« Un loup solitaire »

Les questions viendront plus tard sur le déroulement factuel de la tragédie de Nice. Pourquoi, comment un camion peut-il circuler à cette heure-là, vers 23 heures, au lieu et au moment mêmes d’un des plus grands rassemblements piétonniers de l’année dans cette ville ? Question légitime, même en dehors d’un contexte déjà marqué par le terrorisme et même si l’on admet le principe de base qui définit ce type d’attentat, à savoir son imprévisibilité.

Vendredi en milieu de matinée, celui de Nice n’avait pas été revendiqué. On ne savait pas grand-chose de l’homme qui conduisait le camion. On a retrouvé dans le véhicule les papiers d’identité d’un Tunisien domicilié en France âgé de 31 ans. Le président François Hollande a évoqué la lutte contre le terrorisme islamiste. Il a annoncé que la France intensifierait ses efforts dans le combat contre l’organisation Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie. Il arrive que l’EI revendique un jour plus tard un attentat commis par un individu isolé – « un loup solitaire » – se servant de cette appellation comme d’une franchise.

Le terrorisme islamiste n’a pas attendu l’engagement de Paris en Syrie, notamment, pour frapper la France

Mais, s’il y a encore peu de certitudes quant aux responsabilités dans le massacre de Nice, il y en a une en ce qui concerne le terrorisme islamiste : il n’a pas attendu l’engagement de Paris en Syrie, notamment, pour frapper la France. La France intervient en Irak à la demande du gouvernement de Bagdad. Elle n’a décidé de participer aux bombardements contre l’EI en Syrie qu’après les attentats de janvier 2015 – et parce qu’elle était convaincue qu’ils avaient été préparés par des cellules organisées dans la banlieue de Rakka, la place forte des djihadistes dans ce pays. Les Mohamed Merah et Mehdi Nemmouche puis ceux qui ont frappé Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher n’ont pas eu besoin d’évoquer des « raisons stratégiques » pour tuer des Français. Ils ont tué au nom d’une rhétorique djihadiste véhiculée à plaisir par Internet et qui appelle à la lutte contre « les infidèles », « les juifs et les croisés », les « Occidentaux », un discours totalitaire qui prône la guerre par tous les moyens contre « les mécréants » et autres non-croyants.

Il y a bien une « pensée » derrière ce charabia. Il s’agit de susciter des actions de représailles contre les musulmans de France, dans l’espoir de provoquer une sorte de guerre civile. Déjà frappée par le terrorisme au fil de ces cinquante dernières années, la France n’a jamais cédé à ce genre de provocation. François Hollande a annoncé une prolongation de l’état d’urgence. Son gouvernement et ses prédécesseurs ont musclé le dispositif policier et judiciaire au lendemain de chaque tragédie. On ne se prononcera pas ici sur l’efficacité de chacune des mesures prises. On ne doute pas que la chute des places fortes de l’EI – Mossoul en Irak, Rakka en Syrie – portera un coup nécessaire à son aura d’invincibilité, qui participe à la séduction qu’il peut exercer. Mais il y a une vérité qu’il faut redire. Il en ira du combat contre le djihadisme comme il en a été de la lutte contre d’autres mouvements terroristes : il prendra du temps.