Verra-t-on cette réforme un jour ? La question se pose au Maroc depuis des mois, voire des années, et elle concerne l’une des matières les plus controversées du système éducatif, dans un pays où la majorité des habitants sont des jeunes de moins de 30 ans : l’éducation islamique.

Enseignée dès les premières années du primaire, cette matière accompagne l’élève jusqu’au baccalauréat. Ses programmes sont composés d’une série de réglementations portant sur les comportements à adopter par « tout enfant marocain », supposé être, dès sa naissance, un très bon musulman. Les textes auxquels se réfère le contenu de cette matière sont essentiellement religieux : le Coran et la pratique du prophète Mahomet.

L’enfant ne doit pas mentir parce qu’il risque d’aller en Enfer ou de se voir couper les mains, comme le mentionne le Coran ; la fille, elle, est destinée à être une épouse s’occupant vaillamment de son mari et de ses enfants. A cela s’ajoute une ribambelle de leçons appelant l’élève à ce que ses faits et gestes soient conformes aux préceptes de l’islam dans le cadre de la communauté des musulmans à laquelle il appartient et dont il ne peut s’écarter.

Commission présidée par un théologien

Dans un chapitre du manuel d’éducation islamique de la première année du baccalauréat, intitulé « Al-Ridda » (l’apostasie), on lit notamment que « quiconque prononce un terme contraire à la croyance et aux préceptes de l’islam est exclu de la communauté des musulmans ».

Depuis que le roi Mohammed VI l’a explicitement évoqué dans un communiqué officiel datant de février, la réforme de l’éducation islamique est de plus en plus à l’ordre du jour : « Sa Majesté a donné ses hautes instructions aux ministres de l’éducation nationale et des habous et affaires islamiques sur la nécessité de la révision des programmes et manuels d’enseignement en matière d’éducation religieuse, aussi bien dans l’école publique que dans l’enseignement privé ou les établissements de l’enseignement originel et ce, dans le sens d’accorder une grande importance à l’éducation aux valeurs de l’islam tolérant », précise le communiqué du palais.

Une commission présidée par un théologien de l’islam officiel, Ahmed Abbadi, a été mise en place par le roi en mars pour conduire cette réforme, très attendue par les associations laïques. Objectif, expurger les manuels scolaires des textes qui renvoient à une lecture radicale de l’islam, et ils ne sont pas peu nombreux. Les travaux sont en phase terminale, souligne une source du ministère des affaires islamiques, mais les changements qui seront proposés ne sont pas « franchement révolutionnaires. Par exemple, la Sourate 48 d’Al-Fath (“la victoire éclatante”) sera remplacée par la Sourate 59 d’Al-Hachr (“l’exode”) ; l’appellation “éducation islamique” sera remplacée par celle d’“éducation religieuse”, etc. ».

« Hypocrisie »

« Remplacer la Sourate 48 d’Al-Fath, qui appelle ouvertement à tuer les non-croyants et les impies par la Sourate 59, qui évoque l’hostilité du prophète à l’égard des tribus juives au VIIsiècle, ne peut pas être considéré comme un changement profond, juge le philosophe et militant laïc Ahmed Assid. La réforme prioritaire doit d’abord casser ce lien entre croyance d’une part et violence de l’autre. Quand on dit à des enfants de 10 à 12 ans que les compagnons du prophète Mahomet combattaient les non-musulmans pour les obliger à se convertir à l’islam, cela pose problème, car cette dualité oppose dès l’enfance le croyant au non-croyant, le musulman au non-musulman, que celui-ci soit athée, chrétien ou juif. »

Pour Ahmed Assid, dont les écrits appelant à la sécularisation de la société marocaine ont valu l’hostilité des milieux conservateurs et salafistes, « remplacer “l’éducation islamique” par “l’éducation religieuse” est une hypocrisie ». Dans les manuels scolaires, il est question exclusivement d’islam : aucune trace d’une autre religion.

Se définissant comme un « militant amazigh [berbère] adepte de la laïcité », Ahmed Assid se sent « très concerné par cette réforme. Elle est la base de tout. On ne peut pas avoir des citoyens tolérants si on leur dit dès l’âge de 6 ans qu’ils appartiennent à une communauté (oumma) religieuse et non à un pays, à un Etat ou à une communauté de citoyens tout court. Cela casse le principe d’égalité et de tolérance qui doit régenter les rapports sociaux dans un pays moderne. Le sentiment de citoyenneté est ainsi mis à mal. Une réforme à ce niveau est prioritaire. Les élèves doivent savoir que l’éducation et la vertu priment sur la “morale religieuse” ».