Des manifestantes brandissent une pancarte « I love EU Baabyy », le 28 juin à Edimbourg. | ANDY BUCHANAN / AFP

Un seul Etat vous manque… La tempête du Brexit suscite un regain du sentiment européen dans plusieurs capitales européennes, selon une enquête organisée dans six pays par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes, publiée par Le Monde, vendredi 15 juillet.

En Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie et Pologne, le regard porté sur le vote des Britanniques pour quitter l’UE est très sévère, mais ce choc suscite l’attente d’une réaction à Bruxelles, qui passe par une concentration autour des pays de la zone euro et un net refus d’un nouvel élargissement, à l’égard de la Turquie comme de l’Ukraine. L’enquête a été réalisée en ligne du 28 juin au 6 juillet, avec un échantillon d’environ 1 000 personnes dans chaque pays. Elle est publiée en partenariat avec Le Soir, El Pais, Süddeutsche Zeitung et La Repubblica.

Confiance européenne. Après le Brexit, les six pays de l’étude considèrent que « c’est plutôt une bonne chose » d’appartenir à l’UE : cela va de 59 % en Italie à 89 % en Pologne. Le sondage Ifop montre une nette progression du sentiment européen. En France (67 %) comme en Allemagne (81 %), la progression est de près de 20 points par rapport à 2014.

Les principaux pays européens – à l’exception de l’Italie – n’adhèrent pas à une vision pessimiste de l’après Brexit. Ils sont 54 % en Allemagne, 47 % en Espagne, 44 % en Pologne, 41 % en Belgique, 37 % en France et 36 % en Italie à considérer que « l’UE va repartir sur de nouvelles bases et sortira renforcée de cette crise ». 41 % des Italiens estiment au contraire que le départ d’autres pays va provoquer la disparition de l’UE, ce qui est le cas de 32 % des Français et de seulement 19 % des Allemands.

De qui viendra la relance de l’UE ? Les Européens ont peu confiance en leurs dirigeants pour cela. C’est le cas de moins de 30 % d’entre eux en Espagne, en France et en Italie. Ils préfèrent les autres dirigeants européens et les responsables des institutions européennes (Jean-Claude Juncker, Donald Tusk, Martin Schulz) pour « engager une nouvelle relance de la construction européenne ». Une seule exception : les Allemands considèrent que leurs dirigeants sont les mieux à même de résoudre la crise. Ils sont 62 % au pays d’Angela Merkel et seulement 29 % chez François Hollande.

Une Europe resserrée. Le fédéralisme a mauvaise presse. Mais les Européens attendent une initiative des six pays fondateurs (Allemagne, Benelux, France, Italie) pour « créer autour de la zone euro une Europe plus intégrée politiquement et économiquement ». Près d’un tiers des Polonais et des Espagnols n’y sont pas favorables, mais la très grande majorité de leurs compatriotes en sont partisans : jusqu’à 70 % en Pologne, qui ne fait pourtant pas partie de la zone euro.

Le renforcement des institutions est largement plébiscité, qu’il s’agisse de la création d’un poste de ministre des finances européen ou de l’élection d’un président de l’UE au suffrage universel. Les Allemands sont les moins favorables au ministre européen des finances. Après les soubresauts de la crise grecque en 2015, leur désir d’un tel ministère a baissé de six points en deux ans (de 64 % à 58 %). Ils sont également opposés – comme les Espagnols – à la création d’une armée européenne, souhaitée par les Polonais, les Italiens, les Belges et les Français.

L’euro plébiscité. La baisse de la livre après le référendum britannique permet de trouver des vertus à un euro malmené et mal-aimé depuis la crise des dettes souveraines européennes. Plus des deux tiers des personnes interrogées ne veulent pas d’un retour à une monnaie nationale, à l’exception de l’Italie, où la majorité n’est que de 57 %. En Allemagne, 44 % des sondés souhaitaient un retour au mark en 2014, ils ne sont plus que 33 % désormais. Cela est frappant dans la génération la plus active des 35-49 ans, qui était à 51 % favorable à un retour au mark en 2014. Ils ne sont plus que 35 % aujourd’hui. La nostalgie de la monnaie nationale a baissé de neuf points en France, de sept points en Belgique et de trois en Espagne. Seul en Italie, le rejet de l’euro a progressé de sept points en deux ans.

Non à l’élargissement. Dans les six pays sondés, le rejet de tout nouvel élargissement de l’UE est massif. La Turquie concentre les crispations avec, en France et en Allemagne, quasiment neuf personnes sur dix opposées aux discussions avec Ankara, qui viennent pourtant d’être relancées, en raison des accords avec la Turquie dans la crise des réfugiés. L’Italie est le pays le plus ouvert aux négociations avec la Turquie : 46 % des sondés souhaitent son entrée dans l’Europe. Les Européens interrogés sont également plutôt contre une adhésion de l’Ukraine ou de l’un des pays des Balkans. En France et en Allemagne, moins d’un tiers de la population est favorable à une entrée de l’Ukraine. La Pologne, qui est entrée en 2004 dans l’UE, est majoritairement en faveur d’une adhésion de l’Ukraine (55 %) ou d’un des pays des Balkans (58 %)

Les Européens préfèrent envisager des partenariats économiques avec l’Ukraine et les Balkans. Les réticences à l’égard de la Turquie restent fortes en France, en Allemagne, en Belgique et en Italie, 42 % à 44 % seulement des habitants sont favorables à une relation économique privilégiée. La Pologne (56 %) et l’Espagne (59 %) entretiennent moins de défiance vis-à-vis d’échanges avec Ankara.

Pas de concessions aux Britanniques. Les Européens interrogés sont globalement assez sévères avec les Britanniques. Ils jugent pour la plupart que le Brexit va « affaiblir l’économie » du Royaume-Uni. Les Allemands sont beaucoup plus pessimistes (69 %) que les Français (55 %). Alors que plusieurs dirigeants européens ont pressé le nouveau gouvernement britannique d’accélérer le processus de sortie de l’UE, les personnes sondées en Allemagne, en France et en Espagne, demandent de l’intransigeance vis-à-vis de Londres. Une majorité estime que le Royaume-Uni ne doit bénéficier d’aucun statut spécifique dans les domaines économiques commerciaux à l’issue du Brexit. 47 % des Italiens et des Belges sont également sur cette ligne. La Pologne est la plus tolérante envers le Royaume-Uni – où 800 000 Polonais travaillent –, avec 52 % des sondés qui considèrent que l’UE doit se montrer assez conciliante en maintenant des accords économiques et commerciaux préférentiels avec Londres.