Chez Dailymotion, c’est la fin d’une époque. Son numéro deux et vétéran, Martin Rogard, a été écarté du site de partage de vidéos sur Internet, six mois seulement après avoir été adoubé par Maxime Saada, à la fois président du site et directeur général de Canal+. Le dirigeant a préféré confier une partie de ses missions à l’une ses proches, Virginie Courtieu, ex-Webedia et YouTube, qui officiait auparavant à Canal+.

En un an, une centaine de salariés a quitté l’entreprise. Un turnover inédit dans la start-up. « Le turnover est toujours important dans une boîte de tech », conteste-t-on chez Vivendi. Si soixante-quinze personnes ont été remplacées, la start-up peine à séduire les talents depuis l’arrivée de Vincent Bolloré, dont les méthodes ont un effet repoussoir.

Ces départs sont symptomatiques du malaise qui règne chez Dailymotion, depuis son rachat par Vivendi pour 280 millions d’euros le 30 juin 2015. Pour la première fois, Vincent Bolloré a l’occasion de tester grandeur nature la fameuse convergence, qui consiste à créer un cercle vertueux entre Canal+, Universal, Dailymotion et Gameloft. Séduisante sur le papier, cette stratégie se confronte au principe de réalité, mettant au grand jour les divergences d’intérêts de ses différentes structures.

Desserrer les cordons de la bourse

Ainsi, un an après le rachat de Dailymotion, les clips d’Universal Music et les sketchs des humoristes de Studio Bagel, deux autres filiales de Vivendi, sont toujours absents de la plate-forme, continuant à tourner sur YouTube. En théorie, la logique voudrait que Vivendi privilégie Dailymotion au détriment du géant américain. « Les contenus vont arriver progressivement, nous attendons d’avoir une nouvelle plate-forme technologique », assure-t-on chez Vivendi, sans donner de date.

Mais récupérer tous les clips d’Universal demanderait aussi à Dailymotion, qui a engrangé 80 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an passé et une perte d’une vingtaine de millions d’euros, de desserrer les cordons de la bourse afin de payer de juteux « minimum garantis ». Problème : le budget dévolu aux ayants droit de Dailymotion est par nature très inférieur à celui de YouTube, qui a reversé en 2015 aux labels de musique 740 millions de dollars (665 millions d’euros), selon l’étude Midia Research.

La marge de manœuvre laissée aux équipes s’est réduite comme une peau de chagrin.

Et quel serait l’intérêt pour Dailymotion d’avoir les mêmes clips que son puissant concurrent ? Faudrait-il lui réserver en exclusivité les artistes Universal ? Un pas que Vivendi n’est prêt à franchir. De fait, cela reviendrait à priver Universal de l’audience et des reversements de YouTube.

En dépit de cette schizophrénie, Vivendi souhaite quand même « donner à Dailymotion un positionnement plus premium » que YouTube. Comprenez, en diffusant des contenus de meilleure qualité, et pas en privilégiant les « Youtubeuses beauté ». Sauf que les contenus “premium” coûtent cher. Là non plus, pas question de dépenser plus. « Il peut y avoir des contenus télé de qualité, qui n’ont pas vocation à aller ailleurs », assure-t-on chez Vivendi.

Marge de manœuvre réduite

Une chose est sûre, pour Dailymotion, la voie s’annonce étroite. D’autant que la fameuse convergence n’a pas de réalité dans les chiffres. Ainsi, les contenus Canal+ (du « Petit Journal » au « Jamel Comedy Club ») présents sur Dailymotion ne représentent que 0,1 % de l’audience du site. Et ce, bien que les équipes de la plate-forme travaillent d’arrache-pied sur les contenus de Canal+. « Je ne pense pas qu’il y ait de synergie possible », conclut un cadre du site.

« Cela prend deux mois pour avoir une gomme. »

A ces difficultés stratégiques, s’ajoutent des problèmes de gouvernance. La marge de manœuvre laissée aux équipes s’est réduite comme une peau de chagrin. « Cela prend deux mois pour avoir une gomme », se plaint-on en interne. Pis, le « player » vidéo de Dailymotion n’est toujours pas utilisé par Canal+, qui continue de s’appuyer sur une technologie maison déployée par une équipe séparée.

Si Maxime Saada occupe le poste de président, tout passe par Michel Sibony, homme de confiance de Vincent Bolloré, qui n’a pourtant aucun rôle officiel chez Dailymotion. Ce « cost killer », chargé chez Havas du « middle office » valide dépenses, embauches, et assiste même aux comités de résultats de Dailymotion, où ne siègent que les administrateurs de Vivendi.

Résultat, les autres dirigeants de Vivendi n’osent plus trancher à sa place, et certaines demandes restent sans réponse. Michel Sibony s’avère efficace « pour faire passer une facture de téléphone de 200 000 à 100 000 euros, mais, pour la stratégie, c’est autre chose », dit-on en interne. Pourtant, le vrai patron, c’est lui.