Des producteurs manifestent devant la coopérative agroalimentaire Sodiaal contre les prix bas du lait, au Mans, le 12 juillet. | JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Stopper la chute des prix du lait en encourageant financièrement les baisses de production. Le commissaire européen à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan, devait confirmer, lundi 18 juillet, lors d’un conseil des ministres européens du secteur, une nouvelle enveloppe de 500 millions d’euros d’aides d’urgence, afin d’enrayer la spirale de baisse qui emporte les cours du lait depuis plus de deux ans et met en péril la situation de nombreux éleveurs.

Ces financements seront répartis dans deux enveloppes. La première, de 150 millions d’euros, doit permettre d’inciter les producteurs de lait à réduire leurs volumes, avec un objectif d’une diminution de 1,4 million de tonnes de lait. Les agriculteurs seront rémunérés au prorata des litres non produits (soit environ 10,7 centimes d’euro le kilo de lait).

La seconde tranche, de 350 millions d’euros, sera versée aux 28 Etats membres, selon une clé de répartition liée notamment à la quantité de petites exploitations qu’ils comptent. La France devrait percevoir 49,9 millions. Les capitales pourront ajouter jusqu’à 100 % des sommes reçues, pour venir en aide à leurs agriculteurs, Bruxelles tolérant cette forme d’aide d’Etat à condition qu’elle n’encourage pas une hausse de la production. L’argent ne pourra pas aller à l’augmentation des cheptels, mais devra être destiné à des actions de formation, des actions environnementales, etc.

Enfin, les mesures bruxelloises « classiques » de stabilisation des prix, c’est-à-dire l’« intervention » (Bruxelles rachète du lait en poudre directement aux producteurs) et le stockage privé (les agriculteurs sont invités à stocker leur production et rémunérés en conséquence), qui devaient s’arrêter fin septembre, seront prolongées de plusieurs mois.

Surproduction

Ces propositions vont dans le sens de celles émises ces dernières semaines par la France, avec l’Allemagne et la Pologne, rejointes depuis par l’Italie et l’Espagne. Paris avait même obtenu que la nécessité d’une aide financière soit évoquée dans les conclusions du conseil des chefs d’Etat et de gouvernement du 28 juin, celui qui a suivi le vote Brexit des Britanniques.

Voilà deux ans que la situation en Europe s’est dégradée, avec la fin des quotas laitiers, depuis le 1er avril 2015, le coup de frein aux importations chinoises et l’embargo russe, décrété mi-2014. Il s’en est suivi une surproduction, la demande interne n’ayant pas augmenté.

Le taux de cessation d’activité dans les exploitations françaises doublera, pour atteindre les 9 %

Après avoir atteint 365 euros la tonne en 2014, les cours du lait sont tombés à 305 euros en 2015, avant de glisser autour de 275 euros actuellement. Or, comme le rappelle Thierry Roquefeuil, président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), les coûts de production sont estimés à 350 euros en France.

« C’est une catastrophe pour de nombreux producteurs, notamment pour les jeunes qui se sont installés », affirme-t-il.

De fait, le taux de cessation d’activité dans les 60 000 exploitations françaises, qui emploient 110 000 éleveurs, devrait doubler cette année. Alors qu’il oscille naturellement entre 4 % et 5 % par an en raison des départs en retraite, il est attendu autour de 9 %.

«L’objectif n’est pas d’avoir des aides » 

La situation est analogue dans les autres pays de l’Union, notamment en Allemagne. Selon une étude de l’European Milk Board (EMB), le prix moyen du lait en avril ne permettait même pas de couvrir les deux tiers des coûts de production outre-Rhin. « Cela contraint les agriculteurs à puiser dans leurs propres poches », en ne se rémunérant pas et en contractant des emprunts, déplore Romuald Schaber, président de l’EMB, « et, si ces sacrifices ne suffisent pas, de nombreuses exploitations abandonnent leur production de lait ».

En mars, Paris était de nouveau monté au créneau, réclamant des mesures supplémentaires. Mais à l’époque, en pleine crise des migrants, la Commission avait botté en touche : pas question de donner un centime de plus à l’agriculture, alors que l’urgence était ailleurs. Une autre formule avait été proposée : l’activation de l’article 222 de « l’organisation commune des marchés » de la PAC (politique agricole commune), autorisant les producteurs et coopératives à s’organiser pour collectivement réduire leur production. Mais personne ne se faisait trop d’illusions sur l’efficacité de cette mesure, ayant conscience que, sans incitation financière, elle avait peu de chances de convaincre les professionnels.

Paris avait persévéré dans sa demande d’aide financière, estimant qu’une baisse de 3 % de la production européenne permettrait d’inverser les cours. Il suffirait pour cela d’y consacrer entre 250 et 600 millions d’euros, prélevés sur les marges du budget de la PAC, selon les Français.

« La situation est paradoxale, reconnaît-on au ministère de l’agriculture, puisqu’il s’agit de redonner de la valeur à une réduction de production. »

L’autre impératif pour que ce système simple et basé sur le volontariat soit efficace est d’être opérationnel avant la fin de l’année. « L’objectif est de retrouver un prix du lait, et pas d’avoir des aides », estimait le patron de la FNPL, M. Roquefeuil.

Pour le commissaire Hogan, pas question d’en revenir aux quotas laitiers, supprimés en 2015, après plus de trente ans d’existence. Un sentiment largement partagé parmi les 28 pays. Car l’aide de 500 millions d’euros bénéficiera aussi aux agriculteurs britanniques. « Le Royaume-Uni fait encore partie de l’Union, avec ce que cela implique de droits et de devoirs », rappelle-t-on à la Commission.

Les chiffres

7,5 milliards d’euros

C’est la somme que reçoit la France par an sur la période 2014-2020 au titre de la politique agricole commune (PAC).

500 millions d’euros

C’est l’enveloppe que la Commission européenne a débloquée pour les 28 Etats membres en septembre 2015, pour enrayer la chute des prix du lait, après la suppression des quotas, le 1er avril 2015.

500 millions d’euros

C’est l’argent frais que…