Nicolas Sarkozy a critiqué l’adoption tardive de cette mesure, longtemps étrillée par le Conseil d’Etat, mais qui figure bien désormais dans la loi. | VINCENT KESSLER / REUTERS

Face au terrorisme, « tout ce qui devait être fait depuis dix-huit mois n’a pas été fait ». Nicolas Sarkozy fait feu de tout bois contre le gouvernement depuis l’attentat de Nice, qui a fait 84 morts sur la promenade des Anglais, jeudi 14 juillet.

Alors même que les motivations, l’éventuelle radicalisation et l’affiliation aux réseaux djihadistes du conducteur qui a précipité son 19-tonnes sur la foule sont loin d’être établies, l’ancien président de la République et actuel président des Républicains a critiqué l’action tardive du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme sur Internet.

« Nous demandons depuis dix-huit mois que la consultation de sites djihadistes soit un délit. Ça a été voté en juin, et ne rentrera en vigueur qu’en octobre », a-t-il déclaré dimanche 17 juillet sur le plateau du journal télévisé de TF1.

La loi de réforme pénale, adoptée le 25 mai dernier, prévoit en effet – sauf cas particuliers des journalistes, des chercheurs ou des enquêteurs – de punir « de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende » le fait de « consulter habituellement » des sites Internet qui incitent « directement » à commettre des « actes de terrorisme » ou qui, par des « images ou représentations montrant » des « atteintes volontaires à la vie », en font « l’apologie ».

Une proposition de loi sur la lutte contre le terrorisme, issue des sénateurs de droite et adoptée en février, contenait une disposition identique. Le gouvernement l’avait alors critiquée. Quelques mois plus tard, à l’initiative du Sénat mais avec l’aval de l’Assemblée, elle est introduite dans le droit français.

Atteinte à la liberté de communication

Ce que Nicolas Sarkozy omet de dire c’est que son gouvernement avait, sans succès, tenté d’insérer cette disposition dans le droit français.

Après les attentats de Toulouse et de Montauban, au printemps 2012, le président de l’époque avait voulu faire de la consultation de sites terroristes un délit. La proposition figure dans le projet de loi déposé en avril 2012. Une disposition critiquée par de nombreux experts – Conseil national du numérique, magistrats antiterroristes – pour l’impossibilité et la dangerosité de son application.

Dans son avis au gouvernement, le Conseil d’Etat, qui avait donné son feu vert à tout le reste de la loi, avait également étrillé la disposition.

Les sages du Palais royal avaient estimé que cette mesure « sans précédent ni équivalent » conduirait à menacer de prison des individus qui « n’aurai [en] t commis ou tenté de commettre aucun acte pouvant laisser présumer qu’[ils] aurai [en] t cédé à cette incitation ou serai [en] t susceptible d’y céder ». Selon la plus haute juridiction administrative française, ce nouveau délit portait à la liberté de communication « une atteinte qui ne pouvait être regardée comme nécessaire, proportionnée et adaptée à l’objectif de lutte contre le terrorisme » et qui rentrait en contradiction avec la Constitution française et les textes européens.

A l’initiative du Sénat – à droite – et avec l’assentiment de l’Assemblée nationale – à gauche – une disposition identique figure pourtant aujourd’hui dans la loi, comme l’affirme M. Sarkozy. Le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur cette dernière, qui ne figurait pas dans le projet initial du gouvernement. Mais il y a peu de chance qu’il ait changé d’avis depuis 2012 quant aux chances du texte de survivre à un passage devant le Conseil constitutionnel.