Nicolas Sarkozy, Christian Estrosi et Eric Ciotti ( de droite à gauche), à la cathédrale de Nice, le vendredi 15 juillet. | PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Quatre jours après l’attentat de Nice commis le 14 juillet, la discorde et la désunion ont envahi tous les partis politiques. Sans attendre la fin de la période de deuil national – une minute de silence devait être observée lundi 18 juillet à midi –, l’opposition a haussé le ton et critiqué l’exécutif pendant tout le week-end.

Nicolas Sarkozy a assuré qu’une « autre politique [était] possible ». Alain Juppé a fustigé le « fatalisme » du gouvernement, tandis que Christian Estrosi n’a cessé de dénoncer le supposé manque de policiers déployés jeudi soir à Nice. Alors que l’enquête n’est pas encore terminée, l’offensive médiatique a contraint Manuel Valls et Bernard Cazeneuve à se défendre à de multiples reprises. L’unité nationale observée après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, symbolisée par une Marseillaise entonnée au diapason le 13 janvier 2015 par des députés debout dans l’Hémicycle, n’est plus qu’un lointain souvenir.

Invité dimanche soir au « 20 heures » de TF1, Nicolas Sarkozy, président du parti Les Républicains (LR), a prévenu d’emblée qu’il n’avait pas « l’intention de venir tous les trois mois commenter de telles tragédies » : « La démocratie, ce n’est pas l’absence de débats (…) Je veux dire que tout ce qui aurait dû être fait depuis dix-huit mois ne l’a pas été », a-t-il poursuivi. L’ancien chef de l’Etat a évoqué une « guerre totale »« Ce sera eux ou nous ».

Et il a répété ses propositions : bracelet électronique ou placement en centre de rétention pour les individus soupçonnés de radicalisme, fermeture des lieux de culte « dont nous ne voulons pas sur notre territoire », ou encore « mise à l’isolement de tous les détenus condamnés pour terrorisme islamique ». Et peu importe si ces mesures n’auraient rien changé au drame de Nice : le tueur n’a jamais séjourné en prison ; il n’était pas connu des services de renseignement et il ne fréquentait pas spécifiquement de lieu de culte.

« “Trumpisation” des esprits »

Fait rare, Matignon et le ministère de l’intérieur ont dans la foulée publié un communiqué pour réagir. « Contrairement à ce que le président du parti Les Républicains a affirmé ce soir, aucun gouvernement n’a fait autant jusqu’à présent pour lutter contre le terrorisme », écrivent conjointement MM. Valls et Cazeneuve. Tous deux assurent que « 9 000 emplois de policiers et de gendarmes » seront créés sur l’ensemble du quinquennat, « quand 12 500 avaient été supprimés entre 2007 et 2012 ».

La bataille des chiffres est aussi une bataille de mots. Le 17 juillet, le premier ministre était déjà monté au créneau dans une interview au Journal du dimanche. « Certains politiques irresponsables disent que cet attentat était évitable, y déclare M. Valls. Mais le risque zéro n’existe pas. Dire le contraire, c’est mentir aux Français. » Le chef du gouvernement estime que « la réponse à l’Etat islamique ne peut pas être une “trumpisation des esprits ».

Dans le même entretien, M. Valls critique « l’attitude de Christian Estrosi », président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, et les récentes déclarations d’Alain Juppé. Le maire de Bordeaux et candidat à la primaire de la droite avait considéré le 15 juillet que, « si tous les moyens avaient été pris, le drame de Nice n’aurait pas eu lieu ». « Si même ceux qui étaient considérés comme modérés participent à cette dérive démagogique, c’est très grave », répond le premier ministre.

Les tentatives pour relancer une unité nationale qui ne s’est pas manifestée depuis ce dernier attentat n’ont eu aucun effet. « Le peuple n’est pas dans l’unité nationale, a répété M. Estrosi au Point, dimanche. Le gouvernement ne peut pas s’en sortir pour la troisième fois à bon compte en ayant tous les politiques autour de lui. » Le même jour, Alain Juppé a assumé sa position dans une interview au Parisien : « Le fatalisme n’est pas une politique. »

L’approche de la primaire à droite, qui aura lieu fin novembre, entraîne une surenchère entre les ténors LR. Persuadé que les Français sont passés de l’émotion à la colère, chacun veut rassurer l’opinion sur sa capacité à mener la « guerre ». « Les Français ont bien conscience que l’unité nationale n’est indispensable que si elle est efficace », analyse Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et proche de Nicolas Sarkozy. « La prochaine élection présidentielle, dit-il, se jouera sur la façon de protéger les Français, et sur la capacité à être un chef de guerre. Cette question sera essentielle, bien avant celle du chômage. »

Cette concurrence est particulièrement exacerbée entre les deux favoris, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. Depuis la publication de son livre Pour un Etat fort (éd. JC Lattès, 250 p.) en janvier, dans lequel il se prononce pour un renforcement du renseignement territorial et le développement d’une force de renseignement pénitentiaire, l’ancien premier ministre n’a pas varié dans ses idées. Mais il a changé sa façon de réagir.

« L’état d’urgence ne doit plus être virtuel »

Détestant être brusqué par l’actualité, M. Juppé a cette fois-ci publié un communiqué très offensif dès vendredi 15 juillet. En musclant et en répétant ses attaques contre le gouvernement, le maire de Bordeaux s’est placé de lui-même au centre de la tempête politique. Il ne veut pas se laisser déborder par son principal adversaire, Nicolas Sarkozy, qui remonte dans les sondages.

L’ancien chef de l’Etat devrait lui aussi être très actif dans les prochains jours. Il devait réunir le bureau politique de son parti, lundi 18 juillet. En visite à Berlin, M. Juppé n’y assistera pas. Puis, M. Sarkozy recevra les parlementaires LR au siège du parti, mardi matin. Plusieurs députés proches – Eric Ciotti, Guillaume Larrivé (Yonne) et Georges Fenech (Rhône) – devraient une nouvelle fois déposer des amendements lors du débat sur la prolongation de l’état d’urgence, en réactivant des idées déjà apportées dans le débat après les attentats de novembre 2015 et le double meurtre de Magnanville (Yvelines), le 13 juin : la rétention administrative des individus qui constituent une menace pour la sécurité de l’Etat, la fermeture des lieux de culte salafistes ou encore la suppression de tout aménagement de peine pour les individus condamnés pour des faits de terrorisme. « L’état d’urgence ne doit plus être virtuel, tranche M. Larrivé. Le nouveau clivage a lieu entre ceux qui sommeillent et ceux qui sont conscients que nous sommes en état de guerre. »

Une façon de se démarquer des prises de position de Marine Le Pen qui a, une nouvelle fois, critiqué le prétendu « système » englobant la gauche et la droite. La dirigeante du Front national a ciblé M. Cazeneuve : « Dans n’importe quel pays du monde, un ministre au bilan aussi épouvantable que M. Cazeneuve – 250 morts en dix-huit mois – aurait démissionné depuis longtemps. » La succession des attentats, conjuguée à la perspective de l’élection présidentielle, laisse présager un raidissement accru des discours dans les mois à venir.