Chris Froome, lors de la 15e étape entre Bourg-en-Bresse et Culoz, dimanche 17 juillet. | Juan Medina/Reuters

Le Tour de France s’ennuie. Pas ses acteurs pédaleurs, pas sa caravane publicitaire qui, bientôt, reprendra son tintamarre abrutissant et réjouissant, pas ses applaudisseurs de passage, si nombreux encore dimanche 17 juillet sur les routes mouvementées du Jura. Non, ce sont ses suiveurs qui baillent aux corneilles, devant l’écran de la salle de presse ou de la salle à manger – les deux pouvant se confondre.

Certes, ils ont applaudi au coup de force de Christopher Froome et Peter Sagan dans les faubourgs de Montpellier, quand le vent soufflait fort. Ils ont eu de l’inédit au menu, gloire soit rendue aux couacs organisationnels, quand la flamme rouge a guillotiné le maillot blanc Adam Yates et quand un carambolage sur le mont Ventoux a forcé Chris Froome à rappeler au monde ses origines kényanes. Mais dans l’ensemble, le Tour de France cuvée 2016 s’ennuie. Il s’ennuie au soleil, en traversant les vignes, en franchissant les frontières.

Massif central, Pyrénées, Jura, même combat. Le peloton est figé dans un moule dont il ne sait plus s’extraire, celui de l’échappée protubérante prenant une large avance sur un peloton tracté par l’équipe du maillot jaune. Lequel ne donne aucun signe de faiblesse, à plus forte raison qu’il n’est pas attaqué.

Du concept de la jachère en montagne

La lutte pour les victoires d’étape offre certes une classique chaque jour, le succès ne s’ouvrant qu’a l’élite du peloton – le Colombien Jarlinson Pantano, dimanche, à Culoz. Mais le classement général a les pieds dans le ciment. L’étape jurassienne avait été identifiée par l’équipe Sky comme l’une des plus incertaines et difficiles à contrôler ; les plus proches adversaires de Chris Froome, épuisés, n’ont pas quitté sa roue arrière.

« Je pensais que c’était l’occasion rêvée pour les équipes adversaires de nous mettre sous pression, particulièrement avec la crevaison de Geraint Thomas dans l’avant-dernier col. »

Le Britannique, à l’arrivée, jouait les ingénus : « Je pensais que c’était l’occasion rêvée pour les équipes adversaires de nous mettre sous pression, particulièrement avec la crevaison de Geraint Thomas [son coéquipier] dans l’avant-dernier col : il nous manquait un homme. » Sky a appliqué à ses grimpeurs le concept de la jachère. Sur les étapes de montagne, elle en met certains au repos afin qu’ils produisent davantage – de watts – quelques jours plus tard. Dimanche, c’est le Néerlandais Wout Poels qu’on avait sorti de la cloche.

Un échalas à la carcasse de biche et à la force de cerf. Il ne pédale pas, il chasse. Un jour, Dave Brailsford, le manageur de Sky, lui a mis dans le bec un bout d’échappée. Depuis, Poels aime les regarder souffrir vingt mètres devant lui avant de les déchiqueter et de recracher les os. Il dit : « [Quand quelqu’un attaque], d’abord, je laisse faire, et ensuite, j’adapte mon rythme. Je calcule à quelle vitesse je vais devoir rouler pour les reprendre. Je le vois aussi à leur attitude sur le vélo. »

Le Français Romain Bardet était sa proie lors de la dernière ascension du col du Grand-Colombier. Personne n’a osé l’accompagner et Wout Poels, après l’avoir laissé quelques mètres devant, a sprinté au sommet pour le reprendre. Le grimpeur d’AG2R-La Mondiale, solide sixième du classement général, ménage les ego du peloton : « C’est tactique, il ne faut pas jeter la pierre aux adversaires. Derrière Froome, il y a des places à aller gagner, et il y a beaucoup d’outsiders pour ça. »

Manque d’ambition

C’est l’autre partie du problème : parmi les neuf dauphins du maillot jaune, huit se satisferaient très bien d’une place sur le podium. Pour le premier d’entre eux, le Néerlandais Bauke Mollema, seul homme à accuser un retard inférieur à deux minutes avant d’attaquer la dernière semaine de course, ce serait un bâton de maréchal. Son directeur sportif, le cumulard des contrôles positifs Kim Andersen, admet : « Je sais que l’on devrait toujours courir pour gagner, mais pour le moment, on est plutôt content de notre position. »

Reste Nairo Quintana. Le Colombien de l’équipe Movistar a quitté le pays en juin, promettant de revenir avec le vase de Sèvres remis au vainqueur. Il rêve du jaune mais cauchemarde de Froome. Richie Porte, leader de l’équipe BMC et ami et ancien lieutenant du Britannique, s’amuse : « Même quand on a eu l’impression que Quintana allait attaquer, Chris a placé une fausse attaque et ça a calmé tout le monde. »

« Nous avons essayé d’attaquer, mais il n’y a rien à faire jusqu’à maintenant. Pourquoi attaquer aujourd’hui ? Pour faire le spectacle pour vous ? »

Dimanche à Culoz, on a tenté de convaincre le manageur de Movistar, Eusebio Unzué, figure tutélaire du cyclisme espagnol, qu’il avait peut-être les clés pour rendre ce Tour moins ennuyeux avec deux coureurs, Nairo Quintana et Alejandro Valverde. Il s’en défendait : « Ce n’est pas Eusebio ou la Movistar seule qui a la solution pour le Tour ! Nous, on veut courir pour gagner mais… Nous avons essayé d’attaquer, sur l’étape du Lioran, sur l’étape de Luchon, sur le Ventoux, mais il n’y a rien à faire jusqu’à maintenant. Pourquoi attaquer aujourd’hui ? Pour faire le spectacle pour vous ? »

On aurait volontiers cité en retour Jean Gabin, engueulant Suzanne Flon dans Un singe en hiver : « [Le Tour] n’est pas encore fini mais ça vient, bon Dieu, tu te rends pas compte que ça vient ? Et plus ça vient, plus je m’aperçois que je n’ai pas eu ma ration d’imprévu ! Et j’en redemande, t’entends, j’en redemande ! » Suzanne Flon répond, de sa voie délicate et naïve : « L’imprévu ? Qu’est-ce que ça veut dire ? »

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