Les moyens consacrés au crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en valaient-ils la peine, au regard des résultats atteints ? Rien n’est moins sûr, répond un rapport de la commission des finances du Sénat présenté, mardi 19 juillet, par Marie-France Beaufils, sénatrice CRC d’Indre-et-Loire. Intitulé « CICE : le rendez-vous manqué de la compétitivité ? », ce rapport analyse d’un point de vue fiscal les effets de ce dispositif phare du quinquennat Hollande, qui consiste en un crédit d’impôt sur la masse salariale, jusqu’à 2,5 smic. Mme Beaufils y conclut que le CICE nécessite d’être revu « profondément, dans sa forme comme dans son montant » –l’enveloppe budgétaire devrait atteindre quelque 20 milliards d’euros d’ici 2017, soit « près de 1 % du PIB de notre pays », pointe-t-elle.

Le propos n’est pas totalement nouveau, mais apporte de l’eau au moulin des sceptiques vis-à-vis de ce dispositif. Depuis sa mise en place, en 2013, le CICE poursuit en effet un double objectif. Dans la foulée du rapport Gallois, il vise à stimuler la compétitivité française en abaissant le coût du travail. Mais – inversion de la courbe du chômage oblige – il a aussi été présenté par le gouvernement comme un moyen d’inciter les chefs d’entreprise à embaucher.

A l’arrivée, « l’industrie, cible initiale du dispositif, [n’est] que péniblement le premier secteur concerné avec à peine 19,4 % de la créance », montre l’analyse des créances d’impôts sur les sociétés déclarées par les entreprises en 2014. Le second bénéficiaire du CICE est le secteur commercial, « souvent moins soumis aux impératifs de compétitivité et moins présent à l’exportation », note le rapport. Même constat en fonction de la part du chiffre d’affaires réalisée à l’exportation : en 2014, les entreprises réalisant plus de 10 % de leurs ventes à l’international ont reçu seulement 21,4 % des montants du CICE.

Outil de trésorerie

Ce ciblage défaillant est notamment lié au plafonnement du CICE à 2,5 smic, alors que « les rémunérations des emplois ciblés sur l’innovation [sont] souvent au-dessus de 2,5 voire 3 smic » note Mme Beaufils. Et de citer cet exemple d’une entreprise commerciale, réalisant moins de 20 % de son chiffre d’affaires à l’international, qui a bénéficié d’une créance de CICE « près de neuf fois supérieure » à celle d’un groupe industriel réalisant près de 70 % de son chiffre d’affaires à l’étranger…

A l’autre bout du spectre, pour les PME-TPE en difficulté à la sortie de la crise, le CICE a souvent fait fonction d’outil de trésorerie. Là encore, le rapport se demande s’il s’agissait bien de l’outil adapté pour cela, compte tenu des difficultés de mise en place et des lourdeurs de gestion inhérente au mécanisme choisi, à savoir le crédit d’impôts (complexité des formulaires au démarrage, délai pour le préfinancement par Bpifrance…).
Il pose aussi la question de la soutenabilité budgétaire du dispositif, puisque les dépenses effectives pour l’Etat sont étalées dans le temps (les entreprises ont trois ans à partir de l’exercice sur lequel les salaires ont été versés pour déclarer leurs créances). L’annonce faite fin juin par François Hollande de relever le CICE en 2017, à 7 % de la masse salariale contre 6 % précédemment, plutôt que de supprimer la C3S, procède d’ailleurs de cette logique de décalage budgétaire.

Des effets sur l’emploi « bien moindres qu’espérées »

Enfin, Mme Beaufils pointe le faible suivi du dispositif : c’est l’entreprise qui calcule elle-même la créance qu’elle déclare. Le contrôle, a posteriori, « se limitera à une vérification de la cohérence du montant ». Le comité de suivi du CICE, animé par France Stratégie, un organisme de réflexion lié à Matignon, ne donnera d’ailleurs que fin septembre les premiers résultats d’impact pour 2013 et 2014, car les comptes détaillés des entreprises tricolores pour 2014 ne seront pas disponibles avant 2016, expliquent les experts.

Le rapport ne s’attarde pas sur les effets en termes d’emploi du CICE, mais souligne toutefois que « les conséquences en termes d’emploi sont estimées par les instituts de statistiques et de recherche en économie bien moindres qu’espérées ».

En décembre dernier, une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) avait pointé l’« effet surprise » du CICE sur la hausse des salaires (+1,1 %), notamment dans les secteurs protégés de la concurrence. « A l’horizon 2017, nous estimons que le CICE aurait permis de créer ou de sauvegarder 140 000 emplois » indique Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. Un chiffre proche de celui de l’Insee, qui n’a pas fait de prévision formelle mais évalue à 160 000 emplois l’impact du CICE entre 2013 et 2016. A la mise en place du dispositif, l’exécutif, lui, tablait sur 300 000 nouveaux postes à un horizon de cinq ans.