Le Parlement a interdit les insecticides néonicotinoïdes, nocifs pour les abeilles, à partir du 1er septembre 2018, avec des dérogations jusqu’en 2020. | THIERRY THOREL/CIT'IMAGES

Entre état d’urgence et loi travail, la biodiversité a finalement réussi à se frayer un chemin au Parlement. Quarante ans après la loi de 1976 sur la protection de la nature, l’Assemblée nationale a définitivement adopté, mercredi 20 juillet dans la soirée, le projet de loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Avec un signal fort : l’interdiction des insecticides « tueurs d’abeilles ». Toute la gauche a voté pour, alors que Les Républicains et l’UDI ont voté contre.

La gestation de la loi aura été laborieuse : le texte, annoncé par François Hollande voilà presque quatre ans, a connu pas moins de quatre lectures et de multiples tribulations au cours des deux années de navette entre députés et sénateurs, sur le mode trois pas en avant, deux pas en arrière, un pas de côté. Avec cette loi, « la France se dote de principes renforcés, d’outils nouveaux, de mesures fortes pour favoriser une nouvelle harmonie entre l’homme et la nature », se félicite la secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili.

Le résultat est pourtant en demi-teinte. Tout au long de son examen, ce projet de loi a en effet été soumis aux lobbys des chasseurs, des agriculteurs et des industriels de l’agrochimie, de l’huile de palme ou de la pêche en eaux profondes. Les débats ont aussi été brouillés par les dissensions gouvernementales qui ont notamment opposé les ministres de l’environnement et de l’agriculture. Au final, cet arsenal de mesures destinées à lutter contre le déclin de la biodiversité et la destruction des milieux naturels se trouve quelque peu émoussé.

Dérogations à l’interdiction des néonicotinoïdes

Certes, la loi marque d’incontestables avancées. Sur le dossier brûlant des insecticides néonicotinoïdes, néfastes pour les pollinisateurs, mais aussi plus largement pour l’environnement et la santé, les députés ont obtenu une victoire emblématique : l’interdiction de ces molécules à partir du 1er septembre 2018 pour l’ensemble des cultures agricoles, quels que soient les usages (pulvérisations, traitement des sols ou enrobage de semences).

L’article 51 accorde toutefois des dérogations jusqu’au 1er juillet 2020 lorsqu’il n’existe pas d’alternative. Ces exceptions seront décidées par un arrêté conjoint des ministres de l’agriculture, de l’environnement et de la santé, sur la base d’un rapport sur les molécules de substitution que l’Agence de sécurité sanitaire devra rendre à la fin de l’année. A ce titre, le texte de loi définitif marque un recul par rapport à des versions précédentes qui prévoyaient une interdiction sans dérogation en 2018, ou même dès 2017. Mais l’accord, obtenu à l’arraché, est parvenu à faire primer l’inquiétude de l’opinion publique – une pétition a recueilli 670 000 signatures – et des ONG, très mobilisées, sur les pressions de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et des lobbies agrochimiques.

« Il fallait aussi tenir compte des agriculteurs qui ne veulent pas voir leurs champs ravagés, reconnaît Barbara Pompili. Mais l’interdiction, que ce soit en 2018 ou en 2020, est un signal fort et clair envoyé aux agriculteurs comme aux producteurs de semences. On leur laisse jusqu’à quatre ans pour changer de pratique. »

Reconnaissance du préjudice écologique

Au titre des apports, la loi sur la biodiversité entérine également le principe fondamental de non-régression du droit de l’environnement, selon lequel la protection des écosystèmes ne peut faire l’objet que d’une « amélioration constante ». Elle introduit aussi dans le code civil la reconnaissance du préjudice écologique qui, en vertu de la règle du pollueur-payeur, oblige le responsable d’un dommage à l’environnement à le réparer ou, à défaut, à acquitter des dommages et intérêts. Cela, conformément à la jurisprudence créée après la marée noire provoquée par le naufrage de l’Erika en décembre 1999.

Elle va également permettre la ratification par la France du protocole de Nagoya, qui encadre l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles et impose le partage des avantages qui en découlent avec les communautés locales.

Abandon de la taxe sur l’huile de palme

A côté de ces acquis, le gouvernement et la majorité se sont cependant montrés plus timorés, lorsqu’ils n’ont pas purement et simplement reculé, sur plusieurs dossiers sensibles. Les députés ont ainsi renoncé à la taxe sur l’huile de palme, dite « taxe Nutella ». Celle-ci était destinée à mettre fin à la niche fiscale dont bénéficie aujourd’hui cette huile, dont la production provoque une déforestation à grande échelle. En lieu et place de cette taxe, prévue à hauteur de 30 euros la tonne, avec une hausse progressive, les députés ont décidé de remettre à plat « le dispositif actuel de taxation des huiles alimentaires » d’ici à six mois. En cause : la protestation des deux principaux producteurs mondiaux, l’Indonésie et la Malaisie, qui a failli tourner à « l’incident diplomatique », comme le reconnaît Barbara Pompili.

Parmi les autres mesures abandonnées : l’interdiction du chalutage profond – qui a finalement été adoptée par l’Union européenne fin juin –, la reconnaissance du statut d’être sensible des animaux sauvages ou encore le bannissement de la chasse à la glu.

Agence française pour la biodiversité

Pour coordonner les politiques en faveur des milieux naturels, une Agence française pour la biodiversité (AFB) doit voir le jour le 1er janvier 2017. Elle regroupera les 1 200 agents de quatre structures déjà existantes : l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’Atelier technique des espaces naturels, l’Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux de France. Mais son poids et sa force de frappe seront amoindris par l’absence de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage qui, avant même l’examen de la loi, avait obtenu de François Hollande l’assurance qu’il garderait son indépendance, et celle de l’Office national des forêts.

L’AFB sera dotée de 226 millions d’euros, soit le budget annuel de fonctionnement des quatre structures, ainsi que de 60 millions d’euros au titre du programme d’investissements d’avenir.

« Cette loi était d’autant plus indispensable que l’érosion de la biodiversité est aujourd’hui bien documentée, commente Benoît Hartmann, porte-parole de France Nature Environnement. Elle n’est toutefois pas aussi ambitieuse qu’elle aurait pu l’être, car le gouvernement a du mal à résister aux lobbys. En outre, nous craignons que l’Agence pour la biodiversité n’ait pas les moyens humains et financiers de mener à bien ses missions. Le budget du ministère de l’écologie n’a fait que baisser depuis le début de la mandature, ce qui augure mal de l’avenir, sous un nouveau gouvernement. »