La commissaire européenne à l’emploi et aux affaires sociales, Marianne Thyssen, le 13 mai 2015. | EMMANUEL DUNAND / AFP

La commissaire européenne à l’emploi et aux affaires sociales, Marianne Thyssen, devait annoncer, mercredi 20 juillet, qu’elle maintenait en l’état son projet de révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés, en dépit de l’opposition de onze Etats membres. Mais l’adoption de ce texte est encore loin d’être acquise : il devra pour cela obtenir une majorité qualifiée au Conseil et au Parlement européen.

Si c’était le cas, ce projet de révision aurait des conséquences dans trois grands domaines : la rémunération des travailleurs détachés, y compris dans les situations de sous-traitance, le détachement d’intérimaires et le détachement à long terme.

La rémunération

  • Ce que prévoit la directive en vigueur :

Selon la directive actuelle, qui date de 1966, les travailleurs détachés bénéficient légalement d’un « noyau dur de droits » en vigueur dans l’Etat membre où ils travaillent, c’est-à-dire en matière de périodes maximales de travail, de périodes minimales de repos et de périodes minimales de congés annuels payés.

Pour la rémunération, les pays d’accueil sont simplement tenus de payer les salariés détachés au salaire minimum, lorsqu’un tel salaire minimum existe.

  • Ce que change la révision de la directive :

Principale modification, la réforme de la directive affirme le principe « à travail égal, rémunération égale » :

« Toutes les règles relatives à la rémunération qui sont d’application générale aux travailleurs locaux devront être également appliquées aux travailleurs détachés. La rémunération devra comprendre non seulement les taux de salaire minimal, mais aussi d’autres éléments, tels que les primes ou les indemnités le cas échéant. »

Il deviendrait donc impossible, pour une entreprise française par exemple, de payer un chaudronnier polonais au Smic (1 466,62 euros bruts mensuels) alors qu’un chaudronnier français occupant le même poste gagnerait 2 000 ou 2 500 euros.

Actuellement, cela peut être le cas, les travailleurs détachés étant « souvent moins rémunérés que les autres travailleurs pour un même travail », selon la Commission européenne. Les travailleurs détachés pourraient désormais également prétendre au 13mois, aux primes de Noël ou d’ancienneté.

Cette directive révisée prévoit également que les règles fixées par la loi ou par des conventions collectives d’application générale deviennent « obligatoires » pour les travailleurs détachés « dans tous les secteurs économiques ». Jusqu’à présent, le champ d’application de la directive n’était centré que sur le secteur du bâtiment et des travaux publics.

Le fait que les cotisations sociales appliquées au travailleur détaché demeurent celles du pays d’origine – le principe fondamental du détachement – n’est, lui, pas remis en cause. Les employeurs devraient donc pouvoir continuer à embaucher des travailleurs à moindre coût, originaires de pays où les cotisations sociales sont bien moins élevées.

Cette mesure devrait néanmoins contribuer à renchérir le coût du détachement et « imposer des conditions décentes de travail », selon la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale.

Autre modification concernant les rémunérations introduites par la révision, les Etats membres auraient désormais la possibilité d’imposer aux sous-traitants d’accorder à leurs travailleurs la même rémunération que le contractant principal. Cette disposition ne changerait toutefois rien pour la France où ce principe, qui figure dans la loi Savary du 10 juillet 2014, est déjà en vigueur. « La loi française devient loi européenne », relevait le député socialiste Gilles Savary le 13 juillet.

Enfin, les Etats membres auraient l’obligation d’indiquer de façon transparente les différents éléments constitutifs de la rémunération des travailleurs détachés sur leur territoire.

Le détachement d’intérimaires

Le projet de directive prévoit qu’un travailleur détaché dans un Etat membre par une agence transfrontalière de travail temporaire sera employé aux mêmes conditions qu’un travailleur d’une agence d’intérim de ce pays d’accueil.

« La Commission européenne entend par cette directive de révision, “sortir” l’intérim du détachement, c’est-à-dire du droit du pays d’origine, pour le faire “entrer” dans le régime de l’établissement, c’est-à-dire de celui du pays d’accueil », précise le rapport de l’Assemblée nationale.

En France, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale appelle de son côté la Commission européenne à aller encore plus loin, en interdisant tout détachement d’intérimaires. C’est ce qu’a expliqué Gilles Savary le 13 juillet :

« Ce qu’a créé le détachement d’intérim, c’est un détachement opportuniste, de placement. Les fraudes sont tellement difficiles à identifier et à poursuivre que la plupart de ces boîtes d’intérim se sont développées pour faire du trading de main-d’œuvre bon marché, qui consiste à placer sur le marché du travail des chômeurs, sans qu’il n’y ait une activité permanente dans le pays d’origine. Ces entreprises d’intérim vont à “Pôle emploi” Pologne [par exemple] et nous proposent, sous l’appellation de prestations de services internationales, des gens qui coûtent moins cher. »

Le nombre de travailleurs détachés en France par des entreprises de travail temporaire a augmenté de plus de 3 300 % entre 2004 et 2012, alors que le nombre officiel de travailleurs détachés croissait de 965 % sur la même période.

Le détachement à long terme

Le projet de directive propose de limiter à vingt-quatre mois la durée du détachement. En outre, ce serait bien « la mission », et non le détachement d’une personne, qui serait limitée à deux ans.

Serait ainsi comptabilisé, dans ces vingt-quatre mois, le temps de détachement du ou des travailleurs remplaçant le premier salarié détaché, au même poste et au même endroit, dont la mission aurait duré au moins six mois.

Le fait d’encadrer la durée d’une mission plutôt que le détachement d’un salarié doit permettre d’empêcher des contournements de la loi.