Le premier ministre Manuel Valls lors du débat parlementaire sur la prolongation de l'état d'urgence à l’Assemblée nationale, le 19 juillet à Paris. | JEAN CLAUDE COUTAUSSE / FRENCHPOLITICS POUR LE MONDE

Editorial du « Monde ». Pour la quatrième fois depuis les attentats du 13 novembre 2015, l’état d’urgence va être prolongé, cette fois pour une durée de six mois. Le 14 juillet, François Hollande avait annoncé sa suspension, à partir du 26 juillet, avant que l’horreur qui a frappé Nice au soir de la fête nationale n’impose une nouvelle prolongation. L’état d’urgence, a plaidé Manuel Valls, « est un dispositif efficace pour lutter contre le terrorisme, pour désorganiser les filières, frapper les individus, les empêcher de passer à l’acte ». A l’issue de débats houleux où la droite a soufflé sur les braises et s’est lancée dans une surenchère sécuritaire souvent indigne – allant jusqu’à évoquer la création d’un « Guantanamo » à la française –, montrant que la proximité de sa primaire rend caduque l’idée même d’unité nationale face au terrorisme, les députés ont largement ratifié cette prolongation. Moyennant quelques amendements, les sénateurs ont fait de même, mercredi 20 juillet.

En affichant une fermeté qui répond à l’attente des Français, François Hollande montre que, contrairement à ce dont l’accuse Nicolas Sarkozy, il n’a pas « la main qui tremble ». Reste à savoir si cette mesure d’exception est une réponse adaptée et si elle ne mine pas peu à peu les fondements de notre Etat de droit. Après les attentats du 13 novembre, le chef de l’Etat avait voulu réviser la Constitution pour y inscrire le principe de l’état d’urgence – et la déchéance de nationalité. Cela revenait à institutionnaliser une urgence qui n’est tolérable que sur une courte période. M. Hollande n’a pas eu gain de cause et ces mesures d’exception ont été reconduites de trois mois en trois mois. Cette politique n’a pas été inefficace, puisque de grands événements comme la COP21 et l’Euro de football ont pu se tenir. Et les nombreuses manifestations contre la loi travail ont démontré que le droit de manifester n’était pas remis en cause.

L’état d’urgence est une réponse peut-être momentanément justifiée, mais elle ne peut évidemment pas être la seule.

Comme la menace terroriste est installée dans la durée, et que le « risque zéro » n’existe pas, le danger est que l’état d’urgence devienne notre quotidien. « L’état d’urgence ne peut pas être un état permanent », a assuré Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, au Monde. Il est prolongé jusqu’à la fin janvier 2017, mais on imagine mal qu’il soit alors suspendu, au moment où la France entrera en campagne présidentielle. Le premier ministre a dit et redit que ce dispositif « s’inscrit pleinement dans notre Etat de droit ». Mais ses limites sont peu à peu réduites. Les perquisitions administratives, qui avaient été jusqu’alors écartées, vont désormais être autorisées. Elles permettront d’exploiter les données numériques saisies et d’enclencher davantage de procédures judiciaires. M. Cazeneuve s’abrite sur ce point derrière la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Mais cela crée un précédent dont un pouvoir peu scrupuleux pourrait demain se saisir.

L’état d’urgence est une réponse peut-être momentanément justifiée, mais elle ne peut évidemment pas être la seule. Il faut aussi se donner les moyens d’améliorer les services de renseignement et parvenir à annihiler les racines de ce « djihadisme français » qui voit des centaines de jeunes hommes et femmes radicalisés rejoindre les rangs de l’organisation Etat islamique, voire agir, comme dans l’attentat de Nice ou dans celui de Magnanville contre des policiers, en « loups solitaires ».