Ilnur Zakarin s’est imposé lors de la 17e étape du Tour de France, mercredi 20 juillet, à Finhaut (Suisse). | Juan Medina/Reuters

La barrière de la langue, on a beau dire, est parfois bien pratique. D’un côté, Ilnur Zakarin. De l’autre, des journalistes réunis devant lui avec leurs ordinateurs sous le même chapiteau de fortune. Le cycliste vient d’offrir à son équipe Katusha et à la Russie une victoire qui échappait à son pays depuis 2009, en s’imposant en grimpeur solitaire, mercredi 20 juillet, au terme de la 17e étape, l’une des plus pentues, sur les hauteurs de Finhaut, en Suisse.

Mais il préfère le silence, ou tout comme. Le garçon passe pour taciturne, et le contexte incite peu aux longues tirades. Dans l’assistance, question en anglais : que penser du rapport commandé par l’Agence mondiale antidopage selon lequel la Russie aurait instauré un système de dopage généralisé à tous les sports entre 2011 et 2015 ?

« La participation au Tour est déjà assez stressante comme ça, je n’ai pas le temps de suivre les informations »

Courte réponse en russe, puis traduction en anglais : « La participation au Tour est déjà assez stressante comme ça, je n’ai pas le temps de suivre les informations. Entre les étapes, je lis des livres, je regarde des films, je ne veux pas m’ajouter un stress supplémentaire. » Autant le mettre au courant : le laboratoire de Moscou aurait dissimulé, entre autres, vingt-six contrôles positifs de cyclistes, dont l’identité demeure pour l’instant inconnue des médias.

Le manageur (et interprète) de la formation russe Katusha, Viatcheslav Ekimov, prend la parole : « On parle d’échantillons qui concernent aussi le cyclisme, mais on ne sait pas s’il s’agit de la piste, de la route, du VTT, des hommes, des femmes… »

Viatcheslav Ekimov a été champion olympique du contre-la-montre en 2000, et un fidèle lieutenant de Lance Armstrong du temps où l’US Postal écrasait le peloton : « Notre équipe fait beaucoup de tests, qui s’ajoutent aux contrôles normaux. Ilnur en est à douze tests depuis novembre et les résultats ont été analysés dans différents laboratoires, notamment à Lausanne et à Paris. Il a été contrôlé à chaque course à laquelle il a participé. » Sous-entendu, par des institutions autres que le ministère des sports russe.

Zakarin, 26 ans, traits adolescents, est peut-être davantage porté sur la littérature et le cinéma, mais l’ascète (1,87 m pour 67 kg) a sans doute aussi en tête les conséquences possibles de ce rapport. Le Comité international olympique (CIO) pourrait aller jusqu’à exclure toute la délégation russe des Jeux de Rio (du 5 au 21 août), pour lesquels le cycliste a été sélectionné.

Contrôlé positif en 2009

En 2009, au tout début de sa carrière, le Tatar avait fait les frais d’une affaire de dopage. Un contrôle positif à un stéroïde anabolisant lui avait coûté deux ans de suspension. La main sur le cœur, il assure aujourd’hui il s’agissait d’une simple erreur de jeunesse.

Sept ans plus tard, ce contrôle positif colle toujours au cuissard de Zakarin. « Aucun problème, coupe court l’Allemand Torsten Schmidt, l’un des directeurs sportifs de Katusha. Je pense que tout le monde se réjouit pour la victoire d’Ilnur, les spectateurs et les organisateurs aussi. »

L’intéressé a pourtant écourté les cérémonies, mercredi, tout près de la frontière franco-suisse. Tout juste le temps de dire merci, au sortir d’une lointaine échappée, et tant pis pour la poignée de main à l’édile local et à Bernard Hinault, le quintuple vainqueur du Tour, habitué à des protocoles moins expéditifs sur le podium.

L’ancien champion d’Europe juniors du contre-la-montre (2007) et vainqueur du Tour de Romandie (2015) débute à peine sur la Grande Boucle. Le seul Russe du peloton, 26e au général, se remet d’une blessure sérieuse : une clavicule et une omoplate en vrac après une violente chute sur le Tour d’Italie. Son ambition : « gagner » un beau jour le Tour de France. Un joli lot de consolation s’il ne va pas à Rio.