Plantation de palmiers à huile de Golden Veroleum au Liberia. | Global Witness

Des années d’efforts pour sécuriser les droits fonciers de millions de paysans libériens et traiter une des principales sources de conflits dans le pays, risquent-elles d’être réduites à néant ? C’est la crainte exprimée par une coalition d’associations de la société civile alors que le pays va entrer au cours des prochains mois dans une nouvelle période de campagne électorale. Le projet de loi reconnaissant les droits des communautés rurales sur leurs terres coutumières se trouve sur la table du Congrès depuis 2014 sans que son examen ait jusqu’à présent été mis à l’ordre du jour. Cette loi sur les droits fonciers était pourtant une priorité d’Ellen Johnson Sirleaf qui quittera le pouvoir à la fin de l’année prochaine.

Solange Bandiaky-Badji, directrice en charge de l’Afrique au sein de L’ONG Rights and Ressources Initiative explique dans un entretien au Monde Afrique les enjeux de l’adoption de cette loi, qui avait été présentée comme un modèle pour les autres pays de la région.

Les prochaines élections présidentielles auront lieu en octobre 2017. Les parlementaires ont encore le temps d’adopter cette loi, pourquoi tirer la sonnette d’alarme maintenant ?

La session parlementaire va s’interrompre le 10 août prochain et les élus ne reviendront siéger qu’en janvier au moment où la préparation de l’élection présidentielle va commencer à prendre le pas sur l’agenda politique du pays. Or le projet de loi sur les droits fonciers, dont la présidente Ellen Johnson Sirleaf avait fait une de ses priorités pour construire une paix durable, est aujourd’hui remis en cause par certains sénateurs ainsi que par des membres du gouvernement. Le ministre de la justice, qui agit à titre de conseiller juridique de l’exécutif, a présenté une lettre de trois pages à la présidente dans laquelle il a fait valoir que la LRA n’est pas conforme à la constitution, après l’avoir validé plus tôt dans l’année.

Le ministre des terres, des mines et de l’énergie a également critiqué la LRA disant qu’elle va contribuer à ralentir la croissance économique. La reconnaissance des terres communautaires est perçue comme une menace majeure pour la politique d’attribution de grandes concessions forestières ou de palmier à huile au bénéfice le plus souvent d’investisseurs étrangers.

Vous vous inquiétez également des modifications qu’aurait pu subir le texte depuis sa présentation au Parlement en 2014, pourquoi ?

Le projet de loi présenté au Parlement en 2014 a été élaboré en concertation avec les communautés locales sous les applaudissements de la communauté internationale car avec ce texte le Liberia devenait le chef de file d’un mouvement indispensable pour assurer la paix en Afrique où les conflits fonciers liés à l’accès aux ressources naturelles sont souvent à l’origine des guerres.

Mais depuis deux ans, le texte n’a pas été rendu public ce qui nous fait redouter de possibles retraits en coulisse de dispositions clés. Dans sa version initiale, il assure une reconnaissance légale des droits fonciers sur des terres coutumières ce qui doit permettre aux communautés de négocier avec le secteur privé dans les cas d’investissements à grande échelle où existe un risque d’accaparement de terres. Le Liberia ne peut pas revenir en arrière.

Quelle est la situation actuelle ?

Les communautés continuent à devoir faire face à une forte pression. Le gouvernement a privilégié un développement économique fondé sur des attributions de grandes concessions. Ce choix a exacerbé les tensions entre les communautés et suscité des conflits parfois violents entre les communautés et les grandes compagnies minières ou de production d’huile de palme.

Les concessions couvrent 40 % du pays et des communautés sont établies sur l’ensemble des 237 concessions minières et agricoles du Liberia. Les exemples de conflits sont nombreux : en 2015, dans la région du Butaw au sud-est du Liberia, il y a eu de violentes confrontations entre les détenteurs traditionnels des terres et la compagnie Golden Veroleum, filiale de la grande firme singapourienne de palmier à huile Golden Agri-Resources qui a commencé à travailler sans le consentement des communautés qui vivent autour de la concession industrielle. La compagnie a été forcée d’évacuer la plantation en raison des émeutes. Trente-cinq villageois ont été arrêtés, et au moins 15 sont restés incarcérés pendant plusieurs mois. Un jeune homme de vingt-quatre ans est mort en détention et a été enterré sans autopsie.