Des membres de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA(, en août 2015. | REUTERS

La petite pluie nocturne qui s’est abattue sur Kidal n’a pas suffi à éteindre le feu. Les combats qui avaient éclaté la veille entre groupes touaregs ont repris, vendredi 22 juillet à l’aube, pour se calmer en milieu de matinée. Les affrontements à coups de mitrailleuses et de tirs d’obus de mortier, débutés jeudi après-midi, opposent les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) aux miliciens du Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia), un mouvement en partie soutenu par Bamako. Aucun bilan n’est encore disponible, mais plusieurs sources évoquent des morts et des blessés parmi les belligérants et les populations civiles, « prises en tenaille ».

Les circonstances exactes qui ont mené à une reprise des hostilités entre les deux groupes rivaux sont encore confuses. Chaque camp rejette la responsabilité sur l’autre. Fahad Ag-Almahmoud, le secrétaire général du Gatia, affirme que « sans raison, une patrouille [de ses hommes] a été prise à partie jeudi aux environs de 16 heures à Kidal alors qu’elle traversait la ville pour rejoindre son quartier général. » La CMA a, elle, indiqué dans un communiqué qu’« une colonne de véhicules armés du Gatia a délibérément ouvert le feu sur des positions de la CMA » et exige désormais « le retrait du Gatia de la ville de Kidal et ses alentours. »

« Affrontement inévitable »

Depuis plusieurs semaines, la tension n’avait cessé de croître sur place. « En voyant les dispositifs militaires des uns et des autres qui se renforçaient en hommes, en armement et en carburant venu d’Algérie, l’affrontement était inévitable », relate un notable de la ville. « Hier soir, raconte la même source, le Gatia a fait monter des renforts de Gao et Menaka. La CMA, elle, en a reçu depuis ses positions de Tinzaouaten, Tin-Essako et Aguelhok. »

L’élément déclencheur pourrait avoir été l’assassinat, mardi, d’un officier du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), l’une des principales composantes de la CMA, par des éléments du Gatia. Suite à cet incident, la CMA avait exigé que ses rivaux restent cantonnés sur leurs positions et ne traversent plus la ville. Deux jours plus tôt, les frères ennemis touaregs avaient pourtant, en apparence au moins, trouvé un terrain d’entente à Niamey, la capitale du Niger, sur la gestion sécuritaire et administrative de Kidal. En vain. Ce matin, les casques bleus de la Minusma et les soldats français de l’opération « Barkhane » qui sont stationnés sur place, étaient « en train de s’impliquer » pour convaincre les deux parties de mettre un terme à leurs affrontements fratricides dans lesquels « la CMA aurait pris le dessus en repoussant le Gatia hors du centre de Kidal », relate une bonne source.

Derrière cette reprise des combats émerge la rivalité de deux communautés touaregs mais aussi de deux hommes. D’un côté, Alghabass Ag-Intalla, le secrétaire général du HCUA, dont plusieurs sources affirment que tous les ponts n’ont pas été rompus entre son mouvement et celui du djihadiste Iyad Ag-Ghali, figure de la tribu des Ifoghas dont est issu l’essentiel des combattants du HCUA. De l’autre, Al-Hadj Ag-Gamou, général de l’armée malienne aux relations fluctuantes avec Bamako, chef militaire du Gatia et personnalité centrale de la tribu des Imghad, dont les hommes se sont réinstallés à Kidal en février.

Les dividendes de la paix

Entre ces frères ennemis, ce sont les dividendes de la paix qui sont en jeu, les postes dans les différentes administrations, alors que des autorités intérimaires devaient être réinstallées le 15 juillet, mais aussi le contrôle de route de trafics. « Des éléments de la CMA ont saisi de la drogue à ceux du Gatia la semaine passée à Tinzaouaten », relate une autorité de la région.

L’accord de paix, destiné à mettre un terme au conflit qui oppose Bamako aux mouvements rebelles de l’Azawad – la partie nord du Mali –, signé à Alger en 2015 et dont la mise en œuvre n’a cessé d’être repoussée, n’a pas volé en éclats, mais cette nouvelle vague de violence devrait encore retarder son application.

L’Etat malien avait depuis des années abandonné toute autorité sur son flanc nord mais, plus inquiétant encore, il semble en train de perdre le contrôle de sa partie centrale, sorte d’isthme effectuant la jonction entre les parties septentrionale et méridionale du pays.

Lutte contre les katibas

Alors que les attaques djihadistes n’ont pas cessé dans le nord contre les casques bleus, faisant de la Minusma la mission des Nations unies la plus meurtrière pour ses soldats, ou contre tous ceux suspectés de collaborer à la lutte contre les katiba (unités) d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ou d’Ansar Eddine, dirigé par Iyad Ag-Ghali, les attentats, les assassinats ciblés et les raids armés se sont multipliés depuis plus de dix-huit mois dans la région du Macina, à proximité des villes de Ségou et Mopti.

L’attaque, mardi, d’une caserne des Forces armées maliennes (FAMA) à Nampala, à environ 500 km au nord de Bamako, est venue attester dramatiquement de la dégradation sécuritaire dans la zone et des insuffisances de l’armée. Au moins 17 soldats ont été tués dans cet assaut revendiqué tout d’abord par l’Alliance pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice, un mouvement nouvellement créé prétendant œuvrer pour la défense de la communauté peule, puis par la katiba sud d’Ansar Dine, une brigade djihadiste elle aussi composée pour l’essentiel de Peuls. En réponse, le président Ibrahim Boubacar Keïta a réinstauré l’état d’urgence et décrété un deuil national de trois jours.

Dans cette zone, le combat des djihadistes se mêle aux revendications identitaires et profite du sentiment de discrimination par l’Etat, de la paupérisation, des tensions entre communautés, entre éleveurs, agriculteurs et pêcheurs. Les représentants de l’Etat malien, après l’exécution de plusieurs fonctionnaires par ceux que l’on désigne comme « les hommes à moto », ont déserté. Ceux-ci étaient auparavant régulièrement accusés de taxer indûment les pasteurs peuls.

« Arrestations arbitraires »

Boukary Sambé, un anthropologue malien, analysait dans un rapport publié en mai et intitulé « Le centre du Mali, épicentre du djihadisme ? » que l’islamisme combattant se nourrissait des crimes commis par les soldats, la région du Macina ayant été la première à être occupée par l’armée malienne après l’intervention militaire française de début 2013.

Trois mois plutôt, Human Rights Watch avançait que « les forces gouvernementales ont mené des opérations militaires contre les groupes armés islamistes qui ont fréquemment débouché sur des arrestations arbitraires, des mauvais traitements et des actes de torture. Les Forces armées maliennes ont souvent été impliquées dans de graves abus, prenant pour cibles des civils des groupes ethniques peul et dogon. »

Selon l’organisation de défense des droits humains, ont été commis « de nombreux cas de torture dans le camp militaire de Nampala ». Un représentant de la société civile à Sévaré explique sous couvert d’anonymat : « Le Macina est traversé de multiples conflits entre communautés et à l’intérieur des communautés, où certains refusent de se soumettre à l’autorité traditionnelle. Maintenant que l’Etat a disparu, les conflits se règlent à coups d’armes de guerre et tout le monde en possède. »