Si l’Africa Fashion Week de Lagos s’est achevée début juillet, elle joue toute l’année les prolongations dans l’ardente cité nigériane comme dans le reste du pays. Au Nigeria, nul besoin de chercher un prétexte pour organiser un défilé de mode. Les Nigérians sont accros au style et férus d’innovations en la matière.

Dernier phénomène en date, le mouvement « trashion », né de la fusion excentrique entre « trash » (déchet) et « fashion » (mode). Un cocktail déconcertant qui s’établit progressivement entre la capitale, Abuja, et la mégapole Lagos. Sur les podiums comme dans les rues, des créations cent pour cent issues du recyclage viennent concurrencer la haute couture et le prêt-à-porter. Papier journal, sacs de riz, cannettes à boissons ? Pour les audacieux stylistes nigérians, rien n’est trop « trash ».

Défilé de mode « trashion » au Nigeria. | DR

La mode comme vecteur d’idées

« C’est pour la bonne cause », explique Aida Pierrel, créatrice de mode à Abuja. Originaire du Burkina Faso, la couturière s’est installée dans la capitale nigériane il y a trois ans pour y faire prospérer sa marque. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela a marché : « Le marché est très prometteur », affirme-t-elle. En revanche, pour ce qui est de la protection de l’environnement, Aïda Pierrel avoue se sentir mal à l’aise : « Partout le sol est recouvert déchets. Le Nigeria, c’est crade de chez crade », déplore la styliste qui assure ne jamais avoir vu cela ailleurs.

Voir aussi le portfolio Trashion… la mode recyclée

En participant à son premier défilé « trashion » à Abuja, Aïda Pierrel espère faire bouger les choses : « Quand il est question de mode, les gens viennent, s’intéressent. Le trashion, ici, c’est le meilleur de moyen de sensibiliser les Nigérians à l’écologie. » Elle a présenté ses collections originales entièrement issues du recyclage : « J’ai utilisé surtout des journaux, aussi des lambeaux de papiers issus de machines à broyer, des sacs de riz en plastique et d’autres matériaux. »

La mariée lors d’un défilé « trashion » au Nigeria. | DR

Le mouvement « trashion » a fait ses débuts au milieu des années 2000 à New York. L’objectif : contrecarrer une industrie très polluante avec des créations tendances, puisées dans des matières recyclées. Mais au Nigeria, où la mode est aussi sacrée qu’à New York ou Paris, le phénomène y a encore plus de sens. La prise de conscience écologiste est urgente, et les fashionistas, influentes, détiennent les clés pour faire bouger les choses.

La ville la plus polluée du monde

A l’image d’Aida Pierrel, douze des plus innovantes stylistes d’Abuja se sont passé le mot et font désormais converger leur passion du style avec une conscience écologiste. Première étape : sensibiliser les Nigérians. Ensuite, les créatrices espèrent obtenir le soutien du gouvernement pour que le recyclage soit introduit de manière organisée dans tout le pays.

Le recyclage n’est pas complètement absent du Nigeria, mais ne suscite pas un intérêt massif. Seules quelques structures éparses commencent à se développer. La grosse majorité des déchets est soit brûlée, soit entreposée dans des décharges, parfois récupérée au marché noir pour être alors recyclée de façon hasardeuse.

Un mannequin lors d’un défilé « trashion » au Nigeria. | DR

Pour l’heure, les 180 millions de Nigérians qui forment le pays le plus peuplé d’Afrique produisent bien plus de déchets que leurs infrastructures ne sont capables de gérer. Selon un rapport de l’OMS datant mai, la métropole la plus polluée du monde est Onitsha, une ville portuaire sur la rive gauche du fleuve Niger, dans le sud du Nigeria. Le niveau de particules fines en milieu urbain y dépasse 500 microgrammes par mètre cube (µg/m3). Elle est suivie de près par Kaduna, Aba, Umuahia, toutes dans le top 20 des villes les plus polluées du monde.