De jeunes burundais, en Tanzanie. | George Mulala/REUTERS

Le 27e sommet de l’Union africaine (UA) vient de s’achever à Kigali. Plusieurs annonces importantes y ont été faites, dont les plus emblématiques sont l’adoption d’un mécanisme d’autofinancement de l’institution et le projet de mise en circulation d’un passeport africain.

Ces deux annonces illustrent à la fois les promesses et les errements de l’UA et plus largement de l’idéal panafricain. Le panafricanisme souffre d’être un concept élitiste. Il a germé dans l’esprit d’intellectuels, a été porté par les classes éduquées et n’a jamais vraiment réussi à pénétrer les classes défavorisées du continent.

L’avion reste un luxe

Le projet d’un passeport continental est important sur le plan symbolique, car il matérialise la communauté de notre destin. Mais il est contestable sur le plan politique. L’avion reste un luxe pour la majorité d’entre nous, et de nombreux citoyens ne disposent même pas d’un passeport de leur propre pays ! Selon l’International Air Transport Association (IATA), la part de marché de l’Afrique dans le transport aérien est de 2,2 % en 2015 (croissance de 1,8 % par rapport à 2014), loin devant les autres régions du monde. Seuls les plus privilégiés (et donc les moins nombreux) d’entre nous profiteront donc des possibilités offertes par ce nouveau document.

Cela doit interpeller sur la vocation du panafricanisme. L’annonce d’un mécanisme d’autofinancement de l’UA a été saluée comme une victoire par de nombreux africains à travers le continent. A l’heure actuelle, son budget est financé à plus de 70 % par des donateurs : Union européenne, Etats-Unis, Banque mondiale, Chine… Une telle dépendance pose la question de l’africanité de l’organisation. Question légitimement embarrassante sur un continent jeune, dont la psychologie reste fortement marquée par l’expérience coloniale. Pour Désiré Assogbavi, juriste et directeur du bureau de liaison à l’UA d’Oxfam, la qualification juridique d’« organisation étrangère » pourrait même s’appliquer à l’Institution africaine.

Mais, outre que cette dépendance illustre aussi une forme d’inconséquence stratégique – l’UA pourrait réduire sa taille à la hauteur de ses moyens –, cinquante-trois ans après la création de l’OUA, la construction de l’unité africaine devrait être un projet exclusivement politique et non plus émotionnel. Et donc, au-delà de la satisfaction de notre ego, la question des choix politiques qu’induisent les décisions de l’UA est importante.

Le mécanisme

A cet égard, il est bon de rappeler que le mécanisme d’autofinancement de l’UA présenté par l’économiste rwandais Donald Kaberuka succède au plan proposé, en 2014, par l’ancien président nigérian Obasanjo et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA).

Sommet de l’UA : et pendant ce temps-là à Kigali… les chefs d’Etat dansent
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Ce dernier prévoyait une taxe de 2 dollars (1,8 euro) sur les nuits d’hôtel, de 10 dollars sur les vols en partance ou en direction de l’Afrique, et une taxe additionnelle de 0,005 dollar par SMS échangé sur le continent, et anticipait des recettes de l’ordre de 2,3 milliards de dollars par an pour l’UA. Ce plan, qui certes était imparfait – les pauvres, qui sont ceux qui communiquent au moyen de leur téléphone portable, auraient contribué pour 1,6 milliard sur le budget prévu –, mais il avait le mérite d’exister. Il a finalement été rejeté sous la pression des pays touristiques, qui lui reprochaient de faire la part belle aux pays pétroliers et miniers du continent.

Pour lors, les détails du plan Kaberuka, qui propose une taxe de 0,2 % sur les importations éligibles, ne sont pas connus, mais la question de « l’éligibilité » (quelles importations seront taxées) pourrait poser problème, d’autant plus que l’UA n’a aucun moyen de coercition et s’en remet donc à la bonne volonté des chefs d’Etat pour l’implémentation de ses décisions.

Un mythe qui plaît à la jeunesse

Nous sommes là au cœur de la contradiction fondamentale du projet panafricain. Les leaders du continent n’ont jamais clairement tranché la question, politique, de la nature de l’Union qu’ils veulent fonder : une Afrique des Etats-nations, dans laquelle les différents pays africains conserveraient leur souveraineté, ou une Afrique intégrée, supranationale, dans laquelle les Etats délégueraient leurs pouvoirs à une entité nouvelle ?

Cette contradiction génère de la confusion. Ainsi, d’un côté, nos chefs d’Etats célèbrent la possible mise en circulation d’un passeport africain, un projet éminemment intégrationniste. De l’autre, ils conservent jalousement toutes leurs prérogatives en jouant le jeu d’une Afrique des Etats-nations.

Le Parlement panafricain, quant à lui, est un organe fantôme. La vérité est que, pour beaucoup de nos dirigeants, le panafricanisme est un mythe qui plaît à une jeunesse romantique et dont la popularité en fait un formidable outil de propagande.

Cela est bien dommage, car l’Afrique dispose d’un atout majeur que n’avait pas l’Europe lorsqu’elle s’est construite, et qui a été énoncé par le président Kagamé, deuxième vice-président de l’UA et dont le pays accueillait la réunion panafricaine, au cours du banquet offert aux chefs d’Etat dans le cadre du Sommet : « Nous n’avons jamais eu à apprendre à nous sentir africains. Cela a été naturel. Nos expériences historiques respectives permettent une compréhension unique, au-delà des barrières du temps et des distances. » Le panafricanisme ne devrait plus être un projet émotionnel, mais ce sentiment naturel d’un destin commun est un puissant levier dont il est urgent de se saisir pour bâtir un projet politique crédible, rationnel et ambitieux.