Les manifestants pro-Erdogan dans les rues d’Istanbul, le jeudi 21 juillet. | YASIN AKGUL / AFP

Alors que la Turquie venait de vivre sa première journée en état d’urgence depuis 15 ans, le jeudi 22 juillet, Bruxelles est préoccupé. La chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE), Federica Mogherini, et le commissaire européen à l’élargissement, Johannes Hahn, se sont exprimés dans la soirée. « Nous suivons les développements concernant l’état d’urgence que la Turquie a déclaré après la tentative de coup d’Etat, que l’UE a condamné, de très près et avec inquiétude », ont-ils déclaré dans un communiqué.

L’entrée en vigueur de l’état d’urgence, instauré pour trois mois, est survenue « dans la foulée des récentes décisions inacceptables concernant l’enseignement, la justice et les médias », ont-ils souligné. L’UE appelle donc une nouvelle fois les autorités turques « à respecter, en toutes circonstances, l’état de droit, les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, y compris le droit de chacun à un procès équitable ».

L’appel de l’UE est intervenu alors que la vaste purge déclenchée par le président Recep Tayyip Erdogan, après l’échec du coup d’Etat militaire contre lui, continuait à plein régime, suscitant l’inquiétude dans plusieurs capitales occidentales. Berlin a encore appelé jeudi Ankara à respecter « la juste mesure des choses ». Près de 60 000 personnes, notamment des militaires, des juges ou des professeurs, ont été arrêtées, suspendues ou limogées. Jusqu’à présent, 10 410 d’entre eux ont été placées en garde à vue, et 4 060 ont été mises en détention, a indiqué M. Erdogan lors d’une brève allocution à Ankara, dans les premières heures de vendredi.

Sous l’état d’urgence, la Turquie va déroger à la Convention européenne des droits de l’homme, a déclaré le porte-parole du gouvernement, Numan Kurtulmus. Cet article reconnaît aux gouvernements, « dans des circonstances exceptionnelles », la faculté de déroger, « de manière temporaire, limitée et contrôlée », à certains droits et libertés garantis par la CEDH. Cette dérogation prémunit donc la Turquie contre d’éventuelles condamnations de la CEDH, alors que des purges sont en cours dans l’armée, la justice, la magistrature, les médias et l’enseignement.

Les partisans d’Erdogan toujours dans la rue

L’état d’urgence n’a pas empêché les Turcs de descendre en masse dans la rue, à l’appel du président. Munies de flambeaux et de drapeaux, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées dans la nuit de jeudi à vendredi sur le pont du Bosphore, qui relie les deux parties d’Istanbul, avec des pancartes proclamant « Nous veillons pour la patrie ».

« J’appelle le peuple héroïque qui a réussi à mettre en échec le coup d’Etat militaire à poursuivre la veille pour la démocratie sur les places publiques jusqu’à ce que notre pays soit définitivement sorti de cette période difficile », a lancé M. Erdogan dans son allocution télévisée. Selon un bilan révisé communiqué par le gouvernement turc, le putsch a fait 265 morts, parmi lesquels vingt-quatre mutins, dans la nuit dramatique du 15 au 16 juillet.

Un porte-parole du parti AKP au pouvoir, Yasin Aktay, a qualifié jeudi soir le puissant réseau d’écoles, entreprises et ONG du prédicateur septuagénaire de « structure clandestine et ésotérique (…) qui retourne les fils contre leur père ». Ankara demande à la justice américaine de lui remettre M. Gülen, affirmant avoir transmis à Washington des preuves de son implication, qui n’ont toujours pas été rendues publiques.

« Résistance héroïque »

Lors de son allocution de vendredi, M. Erdogan a proclamé le 15 juillet « Jour de commémoration des martyrs » tombés lors du putsch avorté, après avoir envoyé un texto signé « R.T.Erdogan », appelant ses partisans à continuer de descendre dans la rue et à poursuivre « la résistance héroïque » contre les « traîtres terroristes », malgré les nouvelles restrictions aux libertés de manifester et de circuler. « Les générations à venir n’oublieront jamais tous les civils, policiers et soldats héros de la résistance démocratique du 15 juillet », a déclaré le président.

Traitement diamétralement opposé pour les putschistes présumés : des figures emblématiques de l’armée arrêtées sont désormais présentées comme des traîtres, exhibées devant les médias d’Etat, humiliées et probablement brutalisées. Mais Ankara assure toujours ignorer qui a été sur le terrain le grand organisateur du coup d’Etat. « On ne sait pas. Ce n’est pas clair », a dit M. Kurtulmus à des journalistes étrangers. « Il y a tant de noms dans les dossiers, tant de personnes de niveau moyen et élevé. »