Un délégué accroche des rubans symboliques de la lutte contre le sida, à Durban (Afrique du Sud), le 19 juillet. | RAJESH JANTILAL/AFP

Pour être très technique, le débat sur les données statistiques de l’épidémie de sida n’en recouvre pas moins une cruelle réalité : l’infection par le VIH ne recule pas aussi rapidement qu’annoncé. Sans une amplification de la mobilisation de ressources, l’objectif ambitieux de maîtriser durablement l’épidémie d’ici à 2030 ne sera pas atteint. D’autant qu’un énorme travail statistique réalisé par le réseau Global Burden of Diseases (GBD, « fardeau mondial des maladies »), fort de 1 700 collaborateurs, présente des résultats plus sombres que les données officielles de l’Onusida.

Présentée mercredi 20 juillet lors de la 21e conférence internationale sur le sida, qui se tient à Durban (Afrique du Sud) jusqu’au vendredi 22 juillet, cette étude, publiée la veille sur le site de la revue The Lancet HIV, a fait réagir des ONG comme Aides. « L’annonce choc de la conférence de Durban : non, l’épidémie de sida ne régresse pas », titrait ainsi dans un communiqué l’association française de lutte contre le VIH. En réalité, le titre exagère les conclusions de l’étude GBD 2015.

« Elle met en évidence des tendances allant dans le même sens que celles du dernier bilan de l’Onusida, indique Tom Achoki, de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) à l’université du Washington à Seattle, établissement qui a coordonné l’étude. Mais avec des méthodes différentes, nous montrons que l’ensemble des progrès se fait de manière plus lente que ne le décrit l’Onusida. »

« Méthodes innovantes et améliorées »

Les deux sources convergent sur un point : le nombre de nouvelles infections ne décroît que lentement depuis 2005, comparé à la décennie précédente. Pour la suite, le GBD 2015 dresse un tableau plus noir : il dénombre ainsi 2,4 millions de nouvelles infections en 2015 dans le monde, contre 2,1 millions relevées par l’Onusida. Il souligne également que 74 pays ont connu des augmentations des nouvelles infections entre 2005 et 2015. Parmi eux l’Egypte, le Pakistan, le Kenya, les Philippines, le Cambodge, le Mexique et la Russie.

Autre donnée, la mortalité liée au VIH. L’Onusida a recensé 1,1 million de morts en 2015, mais le GBD donne un nombre plus précis : 1,19 million. De même, le GBD estime que le nombre de personnes vivant avec le VIH dans le monde s’élève à 38,8 millions quand l’Onusida compte 36,7 millions. Enfin, selon les Nations unies, 46 % des adultes et 49 % des enfants infectés bénéficient des traitements anti-VIH, contre 40,6 % au total d’après l’étude.

Comment expliquer de telles différences ? Les estimations de l’Onusida s’appuient sur les données de prévalence fournies par les Etats et sur des modèles mathématiques, là où le GBD 2015 bénéficie de sources plus variées. « Avant tout, les estimations du GBD fournissent une image plus complète et d’une plus grande cohérence interne du panorama du VIH/sida, y compris des estimations des co-infections VIH et tuberculose et des handicaps, précise le docteur Haidong Wang (IHME), principal auteur de l’étude. Cela est rendu possible grâce à des méthodes innovantes et améliorées, ainsi qu’à des données actualisées. Ces estimations incluent des données d’état civil tels que les certificats de décès, l’une des sources les plus fiables sur la progression de l’épidémie. Une source que n’utilise pas l’Onusida. »

« Une issue est possible »

« Cette étude montre les limites du discours sur une fin du sida qui serait déjà engagée, juge Aurélien Beaucamp, le président de l’ONG Aides. Certes une issue est possible, mais le niveau de financement actuel ne permet pas d’avoir un réel impact sur l’épidémie. La réalité, c’est que depuis dix ans nous parvenons tout juste à colmater les brèches. »

Une analyse qui n’est pas très éloignée de celles de Peter Piot, directeur de la London School of Hygiene and Tropical Medicine : « Ce travail montre que l’épidémie de sida n’est en aucun cas terminée et qu’elle demeure l’une des plus grandes menaces de santé publique de notre époque. Le taux annuel continuellement élevé de 2 millions de nouvelles infections représente un échec collectif auquel on doit répondre par une intensification des efforts de prévention et un investissement continu dans la recherche pour le vaccin contre le VIH. »

Car c’est bien la question des ressources et de l’efficacité des différentes interventions contre le virus que posent ces nouvelles données plus précises. Le rapport du IHME, Financing Global Health 2015, publié en avril, soulignait que le financement annuel mondial avait atteint un pic à 11,2 milliards de dollars (10,15 milliards d’euros) mais était retombé à 10,8 milliards en 2015. Or, un travail collectif réalisé en 2015 évaluait à 36 milliards de dollars le montant nécessaire pour mettre fin au sida comme problème de santé publique en 2030, comme les Nations unies s’y sont engagées. La route est plus longue qu’on ne le pensait.