Recep Tayyip Erdodan, à Istanbul le 16 juillet. | GURCAN OZTURK / AFP

Editorial du « Monde ». Les Turcs ont-ils échappé à une dictature militaire pour tomber dans un régime autoritaire antidémocratique ? La question est posée chez les alliés de la Turquie, en Europe et aux Etats-Unis, comme dans les milieux démocrates turcs, une semaine après la tentative de putsch déjouée dans la nuit du vendredi 15 au samedi 16 juillet. Cette seule interrogation dit à quel point ce pays-clé, membre de l’OTAN, est aujourd’hui déstabilisé et fragilisé.

La répression menée par le président Recep Tayyip Erdogan atteint une telle ampleur qu’elle fait craindre que ce qu’il reste de fibre démocratique dans ce régime aux tendances autoritaristes prononcées n’y résiste pas. Américains et Européens ont raison de dire que la victoire de ce coup d’Etat brutal aurait déclenché une guerre civile sanglante. Et représenté un saut dans l’abîme dans cette Turquie déjà aux prises avec les attentats de l’organisation Etat islamique et qui a relancé la guerre contre la rébellion kurde.

Modèle « poutinien »

Les Etats-Unis ont plus besoin que jamais de cet allié de l’OTAN dans la lutte contre les djihadistes, en Syrie comme en Irak. L’Union européenne tient à l’accord conclu avec Ankara pour continuer d’enrayer le flux des réfugiés du Grand Moyen-Orient. Chez les Occidentaux, la realpolitik l’emportera.

A moyen terme, la question est cependant posée : pourra-t-on longtemps traiter en allié un régime qui risque de se calquer sur le modèle « poutinien » ? Un tiers de l’état-major – plus d’une centaine de généraux – a été arrêté. Plusieurs milliers de juges ont subi le même sort, ainsi que des milliers de militaires. Plus de 20 000 professeurs ont été chassés de leur emploi, à commencer par 1 250 doyens de faculté.

M. Erdogan fait peser la responsabilité du coup d’Etat sur son ancien allié, celui qui l’a accompagné dans son ascension politique, l’imam conservateur Fethullah Gülen. Agé de 75 ans, réfugié depuis 1999 aux Etats-Unis, celui-ci dément. Mais il est vrai que ses sympathisants sont nombreux dans l’enseignement et la fonction publique.

Il reste que l’ampleur de la purge entreprise manifeste plutôt la volonté de M. Erdogan de créer un Etat entièrement à la botte de son parti, le Parti de la justice et du développement (AKP). Elle lui donne l’occasion d’imposer ce régime présidentiel auquel il aspire depuis longtemps, sans avoir la majorité nécessaire au Parlement.

Mainmise totale

Le président aurait pu donner d’autres signes. En cette nuit funeste, tous les partis de l’opposition ont été à ses côtés – notamment cette formation kurde modérée, le HDP, qu’il ne cesse de martyriser. C’est grâce à une chaîne de télévision encore libre – ayant échappé à son assaut des derniers mois contre la liberté de la presse – que le président a pu lancer un appel à la mobilisation le soir du putsch. Le geste d’un homme d’Etat eût été d’associer ses opposants à la gestion de l’après-putsch. C’est tout le contraire qui semble se dessiner : une mainmise totale de l’AKP sur le pouvoir.

Les mauvais signes s’accumulent : les tropismes paranoïaques d’un régime dont la presse accuse Barack Obama d’avoir fomenté le putsch ; la volonté affichée de rétablir la peine de mort ; l’existence de ces listes déjà prêtes pour arrêter des dizaines de milliers de personnes, sans la moindre procédure judiciaire. M. Erdogan sortira sans doute plus fort de la folle aventure menée par une partie de l’état-major. Mais sa réaction contribue à affaiblir la Turquie.