Dans la salle de contrôle de la vidéosurveillance niçoise, le 9 février 2015. | ERIC GAILLARD / REUTERS

Dix jours après l’attentat de la promenade des Anglais, à Nice, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, polarise de plus en plus la critique. Après les ténors de la droite et le maire adjoint de la ville, Christian Estrosi, elle émane désormais du cœur du dispositif de sécurité mis en place le 14 juillet.

Dans un entretien accordé au Journal du dimanche daté du 24 juillet, une policière municipale responsable de la vidéosurveillance à Nice accuse le ministère de l’intérieur d’avoir exercé à son encontre des « pressions ». Sandra Bertin, responsable du Centre de supervision urbain (CSU) de Nice, explique ainsi qu’« au lendemain des attentats », le cabinet de M. Cazeneuve lui a demandé de travestir la réalité :

« Le cabinet du ministre de l’intérieur a envoyé un commissaire au CSU qui m’a mise en ligne avec la place Beauvau. J’ai alors eu affaire à une personne pressée qui m’a demandé un compte rendu signalant les points de présence de la police municipale, les barrières, et de bien préciser qu’on voyait aussi la police nationale sur deux points dans le dispositif de sécurité. (…) Or la police nationale était peut-être là, mais elle ne m’est pas apparue sur les vidéos. (…) J’ai été harcelée pendant une heure, on m’a ordonné de taper des positions spécifiques de la police nationale que je n’ai pas vues à l’écran. »

Interrogée le soir même sur France 2, la policière municipale a réitéré ses accusations : « Au fur et à mesure que le temps passe, les appels sont de plus en plus rapprochés. (…) Elle demande [au commandant de police présent sur place] de me faire modifier certains éléments, certains paragraphes, en me demandant notamment de faire apparaître sur certains endroits des positions de la police nationale. »

Une « campagne de vilenies »

Le gouvernement a passé la journée de dimanche à organiser sa riposte. Très rapidement, le ministre de l’intérieur a annoncé son intention de porter plainte en diffamation. Invité sur le plateau du « 20 heures » de France 2, Bernard Cazeneuve a dénoncé une « campagne de vilenies, de calomnies » et démenti :

« Je connais la vérité. Je sais qu’aucun membre de mon cabinet n’a été en contact avec Mme Bertin (…) Je n’ai demandé aucun rapport, je ne suis pas au courant de cette affaire (…), le ministre de l’intérieur (…) n’a jamais menti et n’a jamais cherché à travestir le moindre document. »

Un peu plus tôt dans la journée, le directeur général de la police nationale (DGPN), Jean-Marc Falcone, avait, lors d’une conférence de presse, lui aussi démenti l’existence d’une quelconque « démarche destinée à modifier des documents ou des données ». Et apporté des précisions sur les faits, évoquant une procédure de « remontée classique et traditionnelle d’informations ».

Le directeur central de la sécurité publique (DCSP), Pascal Lalle, placé sous l’autorité du DGPN, détaille au Monde : « Mon état-major a sollicité le CSU pour avoir une chronologie des faits. Nous sommes purement dans une démarche administrative qui émane de l’état-major de la DCSP via la direction départementale de la sécurité publique des Alpes-Maritimes, laquelle a délégué auprès du CSU un commissaire de police de Nice. » Jean-Marc Bailleul, du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, corrobore : « Vu l’attentat, l’importance du drame, qu’on envoie sur place un commissaire et un commandant, ce n’est pas choquant. »

Selon nos informations, ce n’est pas un membre du cabinet ministériel mais une commissaire de police, membre de l’état-major de la DCSP, qui s’est entretenu au téléphone avec Sandra Bertin. Un scénario plausible, d’après Jean-Marc Bailleul. En revanche, « que les gens de la DDSP soient en contact direct avec un membre du cabinet du ministre, c’est impossible, il y a toujours un intermédiaire », affirme-t-il. L’avocat de la policière municipale, Me Adrien Verrier, persiste : « Ce qui est sûr, c’est que cette personne s’est présentée comme travaillant au cabinet du ministre. » MVerrier avait l’intention de faire un signalement au procureur lundi 25 juillet pour « faux en écriture publique » et de transmettre par la même occasion l’identité du fonctionnaire.

Dimanche, Christian Estrosi, à la tête d’une campagne d’accusation du gouvernement depuis le 14 juillet, a pris la défense de la cheffe du CSU et gonflé sa vindicte à l’encontre de M. Cazeneuve.

Accointances politiques

Les attaques du président de la région PACA à l’encontre du ministère de l’intérieur sont devenues quotidiennes. S’embarrassant parfois peu de la vérité : en criant au scandale, jeudi 21 juillet, M. Estrosi a réussi faire passer une réquisition judiciaire pour une tentative de dissimulation de preuves. La sous-direction antiterroriste avait demandé au CSU de supprimer des images de vidéosurveillance du 14 juillet, pour éviter toute fuite, les enquêteurs disposant des enregistrements.

Des observateurs remarquaient, avec la même circonspection, qu’outre ses fonctions de cheffe du CSU, Sandra Bertin s’avère être une proche de la municipalité. Le profil Facebook de la policière n’était plus consultable lundi, mais il attestait dimanche de ses accointances politiques, à travers son adhésion au « groupe des amis de Christian Estrosi » ou au maire actuel, Philippe Pradal (Les Républicains).

Sandra Bertin est également signataire d’une pétition initiée par M. Estrosi contre le « laxisme d’Etat » face à la radicalisation. Ou d’un courrier des syndicats de policiers municipaux qui regrettaient que « la police municipale n’ai pas été citée » par le ministère de l’intérieur et celui de la défense lors d’une conférence de presse le 16 juillet. Des syndicats qui n’ont pourtant pas voulu cautionner la démarche de Mme Bertin le 25 juillet, tout en refusant de dénigrer une « fonctionnaire irréprochable ».

Le rapport que Mme Bertin a transmis aux autorités, et dont Le Monde a pris connaissance, est, de l’avis de tous, tout à fait sérieux dans les faits qu’il décrit. La note de la DDSP des Alpes-Maritimes est en revanche beaucoup plus confuse. Communiquée dimanche par la DGPN à la presse, elle a été établie le 15 juillet, soit au lendemain de l’attaque et vise à retranscrire la « chronologie du franchissement du périmètre par le camion » du tueur qui a fait 84 morts ce soir-là. Le barrage de la circulation y est mal situé, la présence de policiers nationaux qui y est mentionnée s’avère également erronée. « Le 15 juillet, nous n’avions pas tous les éléments », précise une source au ministère de l’intérieur. Mal informé, un fonctionnaire a-t-il pu se montrer trop zélé ?