Recep Tayyip Erdogan le 20 juillet. | Kayhan Ozer / AP

Au pouvoir depuis 2003, d’abord comme premier ministre puis comme président, Recep Tayyip Erdogan est accusé de dérive autoritaire par ses détracteurs. Ces craintes sont accentuées depuis la tentative de putsch survenue le 15 juillet et la vaste répression qui la suit.

Lundi, le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu a annoncé que certains ambassadeurs turcs vont être relevés de leurs fonctions en raison de leurs liens avec le putsch manqué. Les autorités ont déjà suspendu, interpellé ou placé sous enquête judiciaire plus de 60 000 militaires, policiers, magistrats, enseignants, fonctionnaires et autres personnes depuis l’échec du putsch.

Retour sur les moments-clé du parcours de M. Erdogan qui rêve de mettre en place un régime présidentiel à sa mesure.

1994. La mairie d’Istanbul et le passage en prison

Engagé en politique depuis 1976 dans les partis islamistes successifs de son mentor, Necmettin Erbakan, Recep Tayyip Erdogan devient maire d’Istanbul en 1994. En 1997, l’armée pousse à la démission du gouvernement d’Erbakan, devenu premier ministre. M. Erdogan est, lui, destitué en 1998 après sa condamnation pour incitation à la haine raciale et religieuse : la justice lui reproche d’avoir cité un poème lors d’un meeting, selon lequel « les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques et les mosquées nos casernes ». II est incarcéré quatre mois en 1999.

Sorti de prison, il s’éloigne de M. Erbakan et crée, en 2001, le Parti de la justice et du développement (AKP), qui remporte les élections législatives de 2002. Recep Tayyip Erdogan devient premier ministre en 2003, puis président en 2014.

2003. Un début de mandat proeuropéen

Recep Tayyip Erdogan au Parlement européen en novembre 2002. | OLIVIER MORIN / AFP

En arrivant au pouvoir en 2003, M. Erdogan s’affiche comme un réformateur. Le Parlement engage des mesures pour se conformer aux exigences de l’Union européenne, avec qui les discussions en vue d’une intégration traînent : abolition de la peine de mort et des tribunaux d’exception, rédaction d’un nouveau code pénal… Son gouvernement soutient même le plan « Annan » de l’ONU visant à réunifier Chypre – dont la Turquie revendique la partie septentrionale.

Mais le projet proeuropéen d’Erdogan s’essouffle quand les perspectives d’adhésion s’éloignent et le premier ministre se détourne progressivement de son objectif de rapprochement.

M. Erdogan engage aussi des réformes économiques, qui se traduisent par une forte montée de la croissance. Mais une partie de la population commence à s’inquiéter de l’installation au pouvoir d’un islamiste dans ce pays laïque. Sans légiférer, le gouvernement autorise les étudiantes voilées à entrer couvertes dans les universités, encadre la consommation d’alcool. Le premier ministre veut aussi criminaliser l’adultère, un projet auquel il renonce finalement après des protestations de l’Union européenne.

2007. Les vagues d’arrestations et le nettoyage des institutions

A partir de 2007, la Turquie est plongée dans l’affaire Ergenekon, qui désigne un réseau soupçonné de vouloir renverser le pouvoir. Le gouvernement procède à des vagues d’arrestations, qui visent des militaires, des policiers, mais aussi des intellectuels et des journalistes. Cette affaire, qui est devenue le symbole de la lutte engagée par M. Erdogan contre l’institution militaire et les élites laïques, se termine, en 2013, par de lourdes peines pour 275 accusés.

L’affaire entraîne aussi la démission du haut commandement de l’armée, le 29 juillet 2011 – un événement sans précédent dans l’histoire de la République turque. Les militaires veulent ainsi montrer leur désaccord sur le sort de leurs collègues incarcérés.

En 2013, le mouvement Hizmet de l’imam Fethullah Gülen, finit par rompre définitivement avec l’AKP, dont il était allié depuis 2002. Un scandale de corruption impliquant des proches de Recep Tayyip Erdogan éclate alors, et plusieurs cadres de l’AKP et de l’entourage de son leader sont arrêtés.

Le pouvoir accuse une tentative de renversement par Hizmet, désigné sous le terme « d’Etat parallèle ». La lutte d’influence entre les anciens alliés se traduit par des purges massives visant les partisans du mouvement de Gülen au sein des institutions policières et judiciaires ainsi que dans les médias et la société civile.

Dans le même temps, les médias sont sous pression. En 2012, Reporters sans frontières compte « 72 professionnels des médias emprisonnés, dont au moins 42 journalistes » en Turquie, qui est, selon l’organisation, le pays où le plus de journalistes sont incarcérés. La mise au pas de la presse ne cesse de s’accentuer. En 2016, le pouvoir met ainsi sous tutelle le quotidien Zaman et en fait un journal progouvernement.

Le président Erdogan se porte par ailleurs lui-même partie civile dans le procès des journalistes Can Dündar et Erdem Gül, arrêtés fin 2015 et poursuivis pour avoir divulgué, dans leurs articles, un trafic d’armes organisé par les services secrets turcs (MIT) à destination de la rébellion en Syrie.

2013. L’occupation de la place Taksim et la répression policière

15 juin 2013, la police utilise un canon à eau pour disperser des manifestants sur la place Taksim, à Istanbul. | OZAN KOSE / AFP

Au printemps 2013, un mouvement naît à Istanbul pour protester contre un projet d’urbanisation au cœur de la ville. Les contestataires occupent la place Taksim, près du parc Gezi, menacé de destruction. Ce projet cristallise les rancunes d’une partie de la population contre le gouvernement de M. Erdogan et les manifestations s’étendent à d’autres villes.

Pendant trois semaines, 2,5 millions de personnes défilent pour dénoncer la dérive autoritaire du premier ministre. Le mouvement subit une violente répression de la police qui se solde par la mort de six personnes et fait plus de 8 000 blessés.

2016. Le coup d’Etat manqué et la purge

Istanbul : arrestation, le 17 juillet, d’un soldat soupçonné d’avoir participé au coup d’Etat. | OZAN KOSE / AFP

Le 15 juillet, un petit groupe de militaires essaie de renverser le pouvoir. La tentative est rapidement mise en échec. S’en suit une répression très importante : des milliers de militaires, policiers, enseignants, universitaires, sont arrêtés, gardés à vue ou suspendus, des mandats d’arrêts dont délivrés contre des journalistes.

M. Erdogan a instauré l’état d’urgence dans son pays pour trois mois et n’écarte pas le rétablissement de la peine de mort.