L’essentiel sur l’attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray

  • Le prêtre auxiliaire de la paroisse Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), Jacques Hamel, est mort égorgé, mardi 26 juillet, lors d’une prise d’otages dans son église.
  • Les deux auteurs de ce meurtre ont été tués par les hommes de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Rouen.
  • L’organisation Etat islamique a revendiqué l’attaque par son organe de communication Aamaq.
  • La section antiterroriste du parquet de Paris s’est saisie d’une enquête en flagrance confiée à la sous-direction antiterroriste (SDAT) et à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

L’assassinat d’un prêtre, mardi 26 juillet, à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), lors d’une prise d’otages réalisée par deux hommes, a été revendiqué par l’organisation Etat islamique (EI). Celle-ci ne fait ainsi qu’assouvir, après plusieurs d’échecs, le désir de s’en prendre à des églises en France, pays qu’elle qualifie de « royaume de la croix » : deux attentats avaient été déjoués en 2015 contre deux églises de Villejuif (Val-de-Marne) et la basilique du Sacré-Cœur (Paris), cibles de Sid-Ahmed Ghlam, arrêté le 19 avril 2015.

« Essaie de trouver une église avec du monde », lui avait alors écrit un commanditaire pour l’instant inconnu. Ce meurtre s’inscrit dans la stratégie et la propagande du groupe, qui fait du choc et de la guerre contre les « croisés » l’un des marqueurs de son identité. Non content d’avoir éradiqué la présence chrétienne dans les territoires qu’il contrôle – à commencer par la plaine de Ninive, en Irak, un berceau du christianisme –, l’EI a toujours symboliquement présenté son combat contre l’Occident comme une guerre religieuse, en plus de celle qu’il mène contre l’islam chiite.

L’intervention de la coalition internationale en Irak et en Syrie est ainsi qualifiée de « croisade », et les actions du groupe djihadiste sont présentées comme une contre-croisade susceptible de mener les troupes du califat jusqu’à Rome. Il s’agit là d’un élément de langage millénariste récurrent dans le discours d’Abou Bakr Al-Baghdadi, l’autoproclamé calife de l’EI, qui a annoncé que l’un des buts ultimes de l’organisation était de marcher sur le Vatican pour y « briser les croix ».

L’Etat islamique a toujours présenté son combat contre l’Occident comme une guerre religieuse, en plus de celle qu’il mène contre l’islam chiite. | GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

Conflit chrétienté-islam

En octobre 2014, le magazine de l’EI en langue anglaise, Dabiq, présentait en couverture un drapeau djihadiste planté au sommet de l’obélisque égyptien qui fait face à la basilique Saint-Pierre, à Rome. Le mouvement djihadiste voulait, de cette façon, rejouer symboliquement le conflit chrétienté-islam qui a structuré les relations entre Orient et Occident des siècles durant.

En plus d’être l’« ennemi historique » de l’islam, les églises sont présentées comme l’un des vecteurs de la décadence supposée de la civilisation occidentale contemporaine, une décadence qui serait, pour l’EI, matérialisée par l’homosexualité : « Ils utilisent leurs églises et le clergé pour bénir ces péchés. (…) Ils nomment des prêtres sodomites. Leur pape refuse de condamner la sodomie en disant : “Qui suis-je pour juger ?” », proclame ainsi Dabiq, en référence à une phrase du pape François sur l’homosexualité.

Dans son magazine en langue française en date de juillet 2015, Dar al-Islam, le groupe djihadiste avait à nouveau désigné les églises, entre autres cibles, comme objectifs pour les terroristes : « Toujours viser les endroits fréquentés, tel que les lieux touristiques, les grandes surfaces, les synagogues, les églises, les loges maçonniques, les permanences des partis politiques, les lieux de prêche des apostats, le but étant d’installer la peur dans leur cœur. »

Fragiliser les sociétés occidentales

Mais derrière l’idée de « terroriser » les populations ennemies et de déstabiliser leurs Etats apparaît aussi, pour ce qui est des attentats en France, ou encore de ceux commis en Allemagne, la volonté de frapper des pays abritant une forte proportion de musulmans dans le but de fragiliser ces sociétés et d’y détruire toute coexistence religieuse.

Cet objectif a été théorisé. Dans un éditorial de douze pages, publié dans Dabiq, début 2015, l’organisation appelait à l’« extinction de la zone grise » : ce terme sert à décrire une zone crépusculaire où vivraient la majorité des musulmans, entre lumière et obscurité, entre le califat et le monde des infidèles.

Parmi les plus représentatifs des « habitants » de la zone grise, dans l’esprit de l’Etat islamique, figurent les citoyens ou habitants européens d’origine musulmane, qu’il s’agit de détacher de ces pays en retournant l’opinion majoritaire contre eux.

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Un monde « divisé en deux parties »

L’attaque terroriste, en provoquant un raidissement sécuritaire des Etats ou « islamophobe » des sociétés, convaincrait les musulmans que les autres les haïssent. La coexistence Occident-islam étant au cœur de cette « zone » grise à détruire.

« Les musulmans des pays occidentaux vont maintenant rapidement se retrouver face à un choix, soit ils s’apostasient et adoptent la religion mécréante propagée par Bush, Obama, Blair, Cameron, Sarkozy et Hollande pour vivre au milieu des mécréants, […] soit ils font leur hijra [émigration] jusqu’à l’Etat islamique et ainsi échappent à la persécution des gouvernements et citoyens croisés », écrit ainsi Dabiq.

« Les opérations bénies du 11 septembre [2001] ont montré que le monde se divise en deux parties, le camp de l’islam – à l’époque, le califat n’existait pas pour le représenter – et le camp de la mécréance – la coalition des croisés. Comme Oussama Ben Laden l’a dit, le monde aujourd’hui se divise en deux camps. Bush a dit vrai quand il a dit Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes”. Cela veut dire, soit vous êtes pour la croisade, soit vous êtes pour l’islam. »

Un discours mis à mal cette année par l’exode de centaines de milliers de Syriens et d’Irakiens fuyant la guerre dans ces deux pays, et qui, loin de rejoindre les terres du « califat » comme espéré par les djihadistes, ont pris les routes de l’exil vers l’Europe.

Dissuader les partants vers Europe

« L’accueil généreux de réfugiés syriens représenterait une réponse efficace à cette stratégie [de l’EI] ; à l’inverse, le rejet général des réfugiés est une réponse perdante. Nous aurions intérêt à célébrer la diversité et la tolérance dans la zone grise” », notait ainsi l’anthropologue franco-américain et spécialiste du terrorisme Scott Atran, dans un article publié par la revue américaine en ligne Aeon, en février.

L’organisation djihadiste a d’ailleurs très vite pris conscience du danger en multipliant, en début d’année, des vidéos de propagande pour dissuader les réfugiés de rejoindre les « terres des croisés ».

Le fait que deux des dernières attaques qui ont frappé l’Allemagne soient l’œuvre de « réfugiés » – un Afghan et un Syrien – apparaît dès lors comme une bénédiction pour le groupe djihadiste. Lequel s’est empressé de communiquer sur le sujet en appelant, à travers les vidéos « testaments » des assaillants, à multiplier les attentats dans ce pays et les djihadistes à le faire savoir.

Après les attaques de Würzburg et d’Ansbach, en Allemagne, tout comme pour le double meurtre de Magnanville (Yvelines), les attaquants ont pris soin de faire parvenir une vidéo ou un « testament » de revendications, conformément aux directives de l’EI : « Faire serment d’allégeance au calife est une obligation pour ne pas mourir d’une mort de la jahiliyah [« l’ignorance », époque désignée dans le Coran comme la période antéislamique]. Il est possible de filmer cette allégeance de celle-ci afin de l’envoyer à quelqu’un en terre d’islam qui lui-même la fera parvenir à un responsable médiatique de l’Etat Islamique », écrivait par exemple le mouvement djihadiste dans son magazine en langue française.