Le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault au 11e sommet du dialogue Asie Europe à Ulan Bator en Mongolie, le 15 juillet 2016 | WU HONG / AFP

Par Valérie Niquet, responsable du pôle Asie de la fondation pour la recherche stratégique

Bien sûr, l’Europe est confrontée à ses propres crises. Sans même parler du brexit, le terrorisme en France, le coup d’Etat en Turquie, qui ont fait plus de 250 victimes en quelques jours, viennent de nous le rappeler dramatiquement. Mais le communiqué publié à l’issue du sommet de l’ASEM (Dialogue Asie Europe) qui s’est achevé le 16 juillet à Oulan-Bator sans mentionner le jugement du tribunal d’arbitrage de la Haye sur la mer de Chine du Sud rendu le 12 juillet, et la déclaration très modérée de l’Union européenne sur le même sujet, qui se refuse à rappeler le caractère contraignant du jugement, sont pathétiques et démontrent les limites de la recherche du consensus à tout prix, à 28 pour l’Union européenne et à 53 pour l’ASEM. Pourtant, si l’Europe a une chose à partager, ce sont les leçons de sa tragique expérience historique, et le danger mortel que représente, pour les démocraties et la paix, l’esprit de Munich.

La République populaire de Chine a pris l’habitude d’imposer ses positions par la force et l’intimidation, tirant partie de son image de superpuissance économique, mais aussi de la passivité et de la trop grande prudence de ses partenaires. En agissant ainsi, l’Union européenne qui refuse de « faire de la géopolitique » ne voit pas que, en plus de se discréditer un peu plus auprès des États asiatiques les plus responsables et les plus touchés par la stratégie d’affirmation de la puissance chinoise, elle ouvre la voie à des crises plus graves dont elle ne pourra que subir les conséquences. Pékin rejette en bloc le jugement du tribunal de la Haye fondé sur la convention des nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) que la Chine a pourtant ratifiée. Les termes de ce rejet, à l’égard des Philippines et du tribunal d’arbitrage lui-même, sont particulièrement agressifs. C’est la preuve éclatante que, pour un régime chinois de plus en plus refermé sur lui-même, et uniquement focalisé sur ses intérêts les plus étroits, l’engagement dans le système international ne se mesure qu’à l’aune des rapports de force que la Chine pourra imposer.

Discours lénifiants

Alors que l’Union européenne, et la communauté internationale dans son ensemble, n’ont pas compris que, face à une Chine dont l’économie dépend totalement de l’ouverture au monde, l’unité fait la force, la République populaire sait jouer des divisions. Ainsi, en utilisant le nouveau mythe de la route de la soie et du « One Belt One Road » (une ceinture, une route), sa traduction moderne, comme miroir aux alouettes, la Chine a obtenu que certains pays de l’Union européenne s’opposent à une résolution commune jugée trop sévère pour la Chine. En 2015, au sommet de Suzhou, les dirigeants chinois invitaient les PECO (pays d’Europe centrale et orientale), dont la majorité est pourtant membre de l’Union européenne, à monter, au propre comme au figuré, « dans le train à grande vitesse construit par la Chine ». Derrière les discours lénifiants sur la multipolarité et la démocratisation du système international, la Chine en réalité fait peu de cas de ses partenaires, particulièrement de ceux qui, comme l’Union européenne, se fondent sur les valeurs du soft power et la recherche de l’apaisement.

L’Europe, ne l’a pas compris, et fait une fois de plus la preuve de ses limites, qui ne sont pas uniquement dues à ses faiblesses institutionnelles. L’Union européenne a les moyens, si elle le souhaite, de se prononcer avec clarté sur des enjeux d’importance majeure sur la scène internationale. Elle en a la responsabilité en tant que pourvoyeur de normes universelles. Mais, devant cette nouvelle manifestation d’impuissance, c’est aux États membres de prendre le relais et de se prononcer avec fermeté sur un sujet en apparence lointain, mais vital pour notre avenir commun.