Une abeille mâle sort de son alvéole. | Geoffrey Williams / AP

Depuis quelques années, le déclin de l’abeille à miel (« Apis mellifera ») inquiète. En tant que pollinisateur principal, cette espèce est primordiale pour l’agriculture. Des chercheurs de l’Institut de la santé des abeilles de l’université de Berne (Suisse) se sont intéressés aux raisons de cette disparition. Leur découverte est alarmante : les néonicotinoïdes agissent comme contraceptifs sur les abeilles mâles.

Les néonicotinoïdes, une classe de pesticides, sont sévèrement soupçonnés d’effets délétères sur les insectes pollinisateurs. « Ils sont pourtant toujours fréquemment utilisés en Amérique du Nord, spécialement aux États-Unis », alerte Lars Straub, principal auteur de l’étude publiée dans la revue Proceedings of the Royal Society B. Depuis 2013, l’utilisation de néonicotinoïdes est partiellement proscrite dans l’Union européenne, ainsi qu’en Suisse, pour le traitement des semences de colza et de maïs. « Selon les résultats des études scientifiques à venir, cette interdiction sera maintenue ou adoucie », explique le biologiste.

Durée de vie et quantité de sperme réduites

Avec leur étude, les chercheurs bernois apportent un élément supplémentaire concernant les méfaits du thiaméthoxame et de la clothianidine, deux insecticides de la famille des néonicotinoïdes. Le développement d’abeilles mâles a été étudié en milieu contrôlé. Certaines ruches disposaient uniquement de nourriture contaminée aux néonicotïnoides. Les mâles soumis à ces insecticides présentaient une durée de vie moindre, et disposaient d’une quantité de sperme réduite de 39 %. De plus, le sperme lui-même avait une viabilité moindre.

Chez les abeilles, il y a peu de mâles. Issus d’œuf non fécondés, ceux-ci n’apparaissent que vers la fin avril, et ont une durée de vie d’un à deux mois seulement. Ils ne participent pas à la vie de la ruche à proprement parler, mais ont uniquement un rôle de reproducteurs. Et pourtant, ces mâles sont essentiels à la survie de l’espèce. Certes, il suffit d’un seul mâle et d’une petite quantité de sperme pour féconder une future reine. Avec une seule session d’accouplement dans sa vie, celle-ci pourra pondre pour le reste de ses jours. Mais une diminution de la qualité du sperme due aux néonicotïnoides aurait de graves conséquences.

Une fois transféré, le sperme doit parcourir activement le chemin qui le mènera dans la spermathèque – organe féminin de stockage de spermatozoïdes. Ce processus peut prendre jusqu’à quarante heures. Une fois arrivé, la fonction nourricière de cet organe permettra aux cellules germinales mâles de rester en vie, mais encore leur faut-il y arriver.

Arrêt des activités vitales et mort de l’insecte

Dans la nature, comment les abeilles entrent-elles en contact avec les néonicotinoïdes qui ne leur sont pourtant pas destinés ? En effet, cette classe d’insecticides est utilisée pour combattre un large spectre d’insectes ravageurs de cultures, dont les pucerons ou les foreurs chez qui les larves rongent les plantes de l’intérieur. Or, ce produit est soluble à l’eau. Il peut donc être absorbé et distribué dans tous les tissus de la plante. Quand un insecte ingère le néonicotinoïde, ce produit se lie et bloque les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine de l’insecte. Cette molécule est un neurotransmetteur impliqué dans le système nerveux central. Le blocage des récepteurs de l’acétylcholine provoque une surstimulation des nerfs, qui mène à la paralysie. Il s’ensuit un arrêt des activités vitales et donc l’inévitable mort de l’insecte.

D’après Lars Straub, « quand les abeilles sont à la recherche de nourriture sur des plantes contaminées, elles peuvent ingérer du pollen, du nectar ou simplement les gouttelettes d’eau que la plante a produits, eux aussi contaminés ». On ne sait pas encore si c’est l’absorption directe du poison via du pollen contaminé qui provoque les effets néfastes sur le sperme des abeilles mâles.

Selon Junko Tokumoto, un expert de l’université japonaise de Kobe cité dans la publication bernoise, il est établi que les insecticides produisent des réactions de stress oxydatif. Or, les spermatozoïdes, par la composition de leur membrane cellulaire, y sont particulièrement sensibles. Il se pourrait également que l’effet des néonicotinoïdes soit indirect. Le poison handicaperait les abeilles-nourrices qui s’occupent des jeunes mâles. Il pourrait réduire l’activité de leurs glandes hypopharyngiennes, qui produisent protéines, lipides et vitamines destinés aux larves.

Le varroa et autres facteurs de déclin

Les résultats de cette étude devraient cependant être considérés comme le pire scénario, commente Tjeerd Blacquière de l’université de Wageningen aux Pays-Bas, qui n’a pas participé à l’étude bernoise. « Dans cette expérience, la durée d’exposition aux néonicotinoïdes (cinquante jours) ne correspond pas à la réalité. En nature, la floraison des cultures ne dure jamais aussi longtemps », dit-il. Pour y voir clair, le biologiste néerlandais préconise une étude de terrain, en utilisant du pollen réel.

Différents facteurs ont déjà été avancés pour expliquer le déclin des abeilles : changements climatiques, virus, fragmentation de l’habitat, manque de ressources alimentaires à certaines périodes de l’année ou encore l’acarien parasite varroa qui sévit sur tout l’hémisphère nord, s’attaquant aux colonies d’abeilles. « Le facteur principal est certainement le varroa, déclare Lars Straub. Mais chacun des autres facteurs a sa part de responsabilité. Ils opèrent à un niveau différent et interagissent les uns avec les autres. » Les nénicotinoïdes se rajoutent à cette liste.

Le déclin des abeilles expliqué en 3 minutes
Durée : 03:50