Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy (à gauche), et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker (au centre), lors d’un sommet européen à Bruxelles, le 29 juin. | PHIL NOBLE / REUTERS

La décision est tombée à l’issue d’une longue discussion qualifiée de « très politique » au sein de la Commission, mercredi 27 juillet. Le collège était divisé entre les partisans d’une application stricte des règles en cas de dépassement budgétaire, et les commissaires – dont le Français Pierre Moscovici, chargé des affaires économiques – adeptes de la flexibilité pour ne pas pénaliser davantage des pays en difficulté. Le président de la Commission et ancien dirigeant de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, était appelé à jouer les arbitres : il a finalement rallié le second camp, démentant ainsi diverses rumeurs.

Le 12 juillet, les ministres des finances de la zone euro avaient estimé que Madrid et Lisbonne n’avaient pas pris « les mesures nécessaires » pour corriger leur déficit public. D’où le déclenchement, inédit, d’un processus qui pouvait conduire à des pénalités.

Selon les règles de l’Union, après un constat de dérapages budgétaires, la Commission doit proposer une suspension d’une partie des fonds structurels, censés encourager les réformes économiques et sociales, et réduire les inégalités de développement des régions. Le montant de la sanction peut atteindre 0,5 % du produit intérieur brut du pays concerné, ou jusqu’à 50 % des engagements financiers liés aux fonds structurels. Cette question sera examinée à la rentrée.

Pénalités symboliques

Mercredi, le menu de la Commission comportait, en revanche, la question des sanctions : elle avait vingt jours pour proposer d’éventuelles amendes, dont le montant peut, dans un tel cas, atteindre 0,2 % du PIB du pays visé. Sa proposition de mercredi devrait être rapidement avalisée par les ministres des finances.

M. Moscovici avait souhaité, un peu après le constat établi des ministres des finances, que la zone euro décrète seulement des pénalités symboliques contre les deux pays, les sanctions n’étant pas, selon lui, « la réponse qui convient en tout ». « Je souhaite que nous soyons capables d’aller vers des sanctions zéro, dès lors que l’Espagne et le Portugal nous donnent de bonnes garanties », avait poursuivi le commissaire. Il qualifiait la procédure engagée par Bruxelles de « processus d’incitation à réduire les déficits ».

Les partisans de l’austérité budgétaire (l’Allemagne, les Pays-Bas, les pays scandinaves notamment) étaient peu convaincus. Dans une lettre au président du Parlement européen, lue par l’Agence France-Presse il y a quelques jours, un vice-président de la Commission, le Finlandais Jyrki Katainen, semblait en tout cas nuancer le point de vue de son collègue français, en estimant que les deux pays n’avaient pas adopté jusqu’alors les mesures nécessaires. La lettre était accompagnée d’une liste de 60 fonds bénéficiant à l’Espagne – 1,2 milliard d’euros au total – et 12 au Portugal – 0,5 milliard d’euros –, susceptibles d’être visés par une suspension totale ou partielle.

« Dialogue structuré »

M. Katainen, partisan de la rigueur lorsqu’il fut premier ministre de son pays, réclamait en outre, selon certaines sources, une amende atteignant 0,1 % du PIB. Il était apparemment appuyé par sa collègue suédoise Cecilia Malmström, commissaire au commerce, libérale. M. Katainen expliquait cependant dans son courrier que la Commission prendrait en compte les difficultés socio-économiques des deux Etats concernés. L’Espagne et le Portugal sont notamment confrontés à un taux de chômage bien plus élevé que la moyenne des pays de la zone euro.

Le président du Parlement, le socialiste allemand Martin Schulz, a répondu – à M. Juncker avec copie au vice-président – en demandant, pour la rentrée, un « dialogue structuré » avec la Commission. Une procédure instaurée en 2013, qui implique une approbation de l’assemblée de Strasbourg sur une question jugée très sensible. En filigrane, c’est un nouveau débat qui se profile, sur l’arbitrage à opérer entre la rigueur et la relance d’une économie européenne atone. La décision de renoncer aux sanctions adoptées par le collège européen va faciliter cette discussion.

Les deux pays concernés ont, en tout cas, promis qu’ils accompliraient des efforts et ils sont sous une surveillance étroite, invités à en revenir au respect des normes, avec un délai supplémentaire d’un an pour le Portugal, de deux ans pour l’Espagne.

Prévisions de croissance relevées

Le gouvernement espagnol sortant s’est engagé auprès de Bruxelles à clore son budget 2016 avant la fin du mois – c’est le cas en novembre habituellement –, malgré la crise politique persistante. Les administrations ne pourront plus présenter de dépenses extraordinaires. Le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy s’est aussi dit prêt à réclamer le versement anticipé de l’impôt sur les sociétés dès la mise en place d’une nouvelle équipe ministérielle. Il table également sur des rentrées de 1 milliard d’euros grâce à une lutte plus efficace contre la fraude.

Dimanche 24 juillet, les autorités espagnoles ont, par ailleurs, relevé leurs prévisions de croissance, passées de 2,7 % à 2,9 % pour 2016. Un taux qui, selon le ministre de l’économie, Luis de Guindos, devait mettre son pays à l’abri des sanctions, d’autant qu’il recrée également des emplois.

Dans un argumentaire envoyé à Bruxelles, le Portugal s’est, quant à lui, dit capable d’éviter tout dérapage en 2016 en prenant les mesures adéquates, dont une réduction de 0,2 % des dépenses publiques. Son budget pour l’année en cours prévoit un gel des dépenses, et des mesures pour ramener le déficit sous la barre de 3 %. En 2015, des coûts liés au sauvetage d’une banque, Banif, ont fait enfler le déficit, qui se situe à 4,4 % du PIB.

Tant Madrid que Lisbonne avaient dénoncé le principe des amendes. « Ce serait non seulement incohérent mais contre-productif », avait commenté le gouvernement espagnol. « Cela n’a pas de sens, politiquement et économiquement, de sanctionner le passé d’un pays qui a pris des mesures effectives », commentait de son côté, le ministre des finances portugais, Mario Centeno.

Le gouvernement de gauche, arguant qu’il devait assumer le poids d’un passé dont il n’est pas responsable, avait obtenu le soutien de François Hollande. « On ne peut pas demander au Portugal plus que ce qu’il a déjà fait », a estimé le président, en visite le 19 juillet. Il avait plaidé, à cette occasion, pour des règles communes mais surtout « la solidarité et l’espérance » dans la zone euro.