LA LISTE DE NOS ENVIES

L’actualité cinématographique a beau traverser indolemment son accalmie saisonnière, le spectateur curieux trouvera encore dans les salles de belles sorties à se mettre sous la dent. Au menu de la semaine, une mère vampirique, une vague alarmante et les tribulations politiques d’un hockeyeur québécois.

UNE OGRESSE AU CŒUR TENDRE : « Carmina ! », de Paco Leon

CARMINA ! Bande Annonce (Comédie - 2016)
Durée : 01:45

« Carmina » – dans lequel on entend « carmin » : prénom flamboyant pour une femme flamboyante –, héroïne du film de Paco Leon, est interprétée par la mère de ce dernier, Carmina Barrios. Si le cinéaste n’a pas changé le prénom, c’est qu’il est impossible de faire la différence entre le personnage de fiction et la « vraie » Carmina, source d’inspiration inépuisable pour son fils, qui lui avait déjà consacré, en 2012, son premier long-métrage, Carmina o Revienta. Le film les avait l’un et l’autre propulsés au premier plan de la scène espagnole.

Carmina est un vampire, grande et forte femme aux yeux cerclés de noir autour d’un iris vert si clair qu’il en devient presque inquiétant. Elle bouge sans se presser dans la fumée de son éternelle cigarette, les yeux dans le vague.

Le film nous enferme dans l’appartement sévillan de Carmina, où sa fille Maria vient la rejoindre : le père est mort un samedi, il faut attendre le lundi pour déclarer le décès, le temps qu’on verse au macchabée sa dernière prime. Elles se ressemblent, la belle jeune femme et la grande ogresse. Elles aiment la joute – et c’est l’un des grands plaisirs du film, qui évoque les grandes heures du cinéma d’Almodovar.

Dans ce quasi-huis clos plongé dans la pénombre, Paco Leon orchestre une comédie noire enfiévrée de mots et de points d’exclamation, de formules énormes, de mains levées dont on ne sait pas si elles vont caresser ou gifler. La force du film tient à ce que, bien que sensiblement fasciné par son héroïne et mère, le cinéaste ne se contente pas d’un portrait figé. Dans les quelques heures et jours qui suivent la mort, Carmina se métamorphose. Sous l’ogresse, le spectateur voit éclore la mère et la sœur, l’amie douce. Sous l’épouse fidèle surgit l’épouse frustrée. Chaque fois que l’on croit avoir saisi Carmina, elle se réinvente. Noémie Luciani

« Carmina ! », film espagnol de Paco Leon. Avec Carmina Barrios, Maria Leon, Paco Casaus, Yolanda Ramos (1 h 33).

PANIQUE AU BORD DU FJORD : « The Wave », de Roar Uthaug

The Wave : bande-annonce officielle VF (Sortie le 27 juillet 2016)
Durée : 01:40

Depuis Cold Prey en 2006, film d’horreur à succès, le Norvégien Roar Uthaug a fait du chemin. Avant un Tomb Raider Reboot prévu pour 2018, et pour lequel Hollywood est allé le débaucher, son dernier film The Wave est un travail d’une précision scientifique du début à la fin, ménageant intelligemment son suspense, tenant sans s’essouffler la longueur en dépit d’une temporalité retorse.

Au début de ce film catastrophe – premier du genre en Norvège et triomphe au box-office local –, Kristian, un géologue qui s’apprête à déménager, renonce au dernier moment à prendre le ferry. Son intuition qu’une catastrophe approche ne parvient pas à dissiper l’insistance de ses collègues. Voici alors Kristian dans la peau de Cassandre, incapable de se faire prophète en son pays.

On croise souvent ces oiseaux de mauvais augure dans les films catastrophe, mais les scénaristes John Kare Raake et Harald Rosenlow-Eeg en font ici une variante plus fine de scientifique confronté aux limites de sa pensée. Kristian se veut cartésien, mais la science ne lui donne presque rien, des détails mal visibles, pour élaborer un raisonnement et le transmettre.

L’événement central, le tsunami, ne dure que quelques secondes, efficaces, sobres, presque froides dans leur façon de tenir les effets numériques en bride. Le tout pensé en ménageant toujours l’espace pour faire exister des personnages, filmer des décors, construire une ambiance. Un divertissement parfaitement exécuté et pas fade, auquel les vacanciers cherchant la fraîcheur dans les salles auraient tort de tourner le dos. No. L.

« The Wave », film norvégien de Roar Uthaug. Avec Kristoffer Joner, Ane Dahl Torp, Thomas Bo Larsen, Jonas Hoff Oftebro (1 h 50).

UN HAÏTIEN AU QUÉBEC : « Guibord s’en va-t-en guerre », de Philippe Falardeau

GUIBORD s'en va-t-en guerre / Bande-annonce / Au cinéma le 27 juillet
Durée : 02:48

Philippe Falardeau, cinéaste québécois de 48 ans, dont les films sont plus ou moins régulièrement distribués en France, c’est un peu l’anti-Xavier Dolan. Ses aficionados aiment à retrouver sa modestie affichée, sa veine populaire et bon enfant, sa couleur « belle province ». Qui pourrait les en blâmer à l’heure où l’agressivité, le cynisme et la violence sont partout ?

Son sixième long-métrage est une fable décontractée et railleuse, épinglant les travers et les tentations de la vie politique nationale. Steve Guibord, ex-hockeyeur devenu député d’un territoire francophone, en est le personnage principal, épaulé par son nouvel assistant haïtien, Souverain Pascal, qui commente pour sa famille et ses amis, par Internet, les subtilités de la politique canadienne, apportant au film une Montesquieu’s touch.

Le cinéaste s’amuse à placer son personnage au milieu de divers nœuds dramaturgiques. Les routes perpétuellement barrées par les autochtones algonquins. La voix décisive de Steve Guibord dans le vote sur l’opportunité d’une intervention de l’armée canadienne au Moyen-Orient. Les pressions féroces entre « pro » et « anti » qui se déclenchent dans la province dont il est le député. Beaucoup pour un seul homme. Mais on peut compter sur Philippe Falardeau pour le sortir, très aimablement et avec les honneurs, du pétrin. Jacques Mandelbaum

« Guibord s’en va-t-en guerre », film canadien de Philippe Falardeau. Avec Patrick Huard, Suzanne Clément, Irdens Exantus (1 h 44).