Les fondations de la mosquée d’Amachache, un petit village dans l’extrême nord-est du Mali, sont progressivement grignotées par l’érosion. Aux alentours, des cases en ruine. Les briques de terre qui composent les murs semblent s’évaporer. Cela peut paraître paradoxal, mais dans cette région où les températures avoisinent les 45 degrés à l’ombre en saison sèche, c’est bien la pluie, la responsable de tous ces maux.

Il ne pleut pourtant que quelques jours par an en cumulé, soit 68 mm de précipitation. Dix fois moins qu’à Paris. L’enjeu dans cette partie du pays a toujours été « la maîtrise de l’eau », explique Hamany Belco Maïga, président du conseil régional de Kidal, le chef-lieu régional.

« C’est un conflit millénaire, qui dépasse toutes les autres considérations. Le plus grand luxe ici, c’est l’eau ». Avec la crise que traverse le Mali depuis 2012, la guerre pour l’or bleu a pris une tournure plus radicale.

Maîtriser et canaliser l’eau

« Ces dernières années, la pluie a changé. On n’a pas l’habitude de voir ça. Les vents, les pluies sont beaucoup plus violents. Les écoulements arrivent de la montagne, là-bas. Ils sont torrentiels. Ca emporte les habitations et même les gens », affirme Ousmane Ag Abdoulah, le maire de Tessalit (5 000 habitants)

L’Adrar des Ifoghas auquel fait référence le maire, fait office de château d’eau dans le désert. C’est un des plus imposants massifs montagneux du Sahara. Les pluies qui ruissellent sur les pentes emportent tout sur leur passage. Mais ces déversements massif sont trop brutaux pour être profitables. Trop ponctuels pour permettre aux nappes phréatiques de se recharger. « Il faut que l’on maîtrise les écoulements. Pour ça, il faut faire des barrages, des digues, des microbarrages, pour que l’eau puisse avoir le temps de stagner. Sinon, elle va s’évaporer dans le désert et tout ça ne servira à rien », assène Ousmane Ag Abdoulah.

Coopération civilo-militaire

Ces considérations, Bamako n’en a cure. Il faut dire que vu de la capitale, les problèmes du nord du Mali n’ont jamais été une priorité. La distance entre Bamako et Tessalit équivaut à un Paris-Rome. Alors les leaders communautaires se mobilisent localement, tentent d’alerter les bailleurs, Agence Française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) en tête, afin de trouver des solutions pour distribuer la ressource au plus grand nombre. Mais dans cette partie du pays, les djihadistes rôdent encore. C’est l’armée française, d’abord Serval puis Barkhane qui met sur pied de petits projets, au titre de la coopération civilo-militaire.

A Amachache, Barkhane a financé la construction d’une digue pour contenir les écoulements. « Notre avantage, c’est de pouvoir aller là où les Ong et les autres agences ne peuvent pas encore se rendre à cause de la sécurité », explique le colonel Augereau, représentant de Barkhane à Gao.

Des véhicules de Barkhane en patrouille à Tessalit, au nord du Mali.  | Le Monde Afrique

A quelques kilomètres de là, à Tessalit, c’est un barrage semi-enterré, qui a été financé par l’AFD à hauteur de 750 000 euros. Il permet la régénération des nappes souterraines et assure la viabilité de plus d’une centaine de puits. De quoi changer la vie des habitants de la région qui peuvent désormais cultiver quasiment toute l’année. C’est encore une fois Barkhane qui a sécurisé l’ensemble du chantier.

Et si l’armée française alloue autant de temps à ces projets, c’est parce que la coopération civilo-militaire a clairement un intérêt dans la lutte contre le terrorisme dans cette partie du pays. Le but est clairement avoué : « détourner la population des groupes terroristes », souligne le colonel Augereau. Avec l’aide au développement, (dont le budget est serré, environ 600 000 euros en 2015) l’armée française espère donc conquérir les cœurs. La politique des petits pas porte ses fruits dans le nord du Mali. « [Barkhane] ne peut pas mener des projets gigantesques qui prendront des années, alors qu’on peut construire un puits, rebâtir une école, faire du concret à petite échelle », relativise un militaire français.

A quelques centaines de kilomètres de là, en bordure du fleuve Niger, des jardiniers arrosent salades et melons. Ce potager de 5 hectares a retrouvé des couleurs après le don d’une motopompe, qui permet d’acheminer l’eau du fleuve jusqu’à des bassins de rétention situés dans les jardins.

Des habitants observent l’horizon qui se couvre, perchés sur la digue en cours de finition à Amachache. | Le Monde Afrique

« Avant, on devait faire 150 mètres, peut être 200 mètres, avec les seaux pour aller puiser l’eau. On était très fatigués et on n’exploitait pas toute la surface. Maintenant, on a l’eau dans le jardin. On travaille mieux », explique Abdoul Seydou Maïga, un maraîcher. Au chômage pendant la majeure partie de la crise, il vendait quelques légumes « aux gars du MNLA [Mouvement national pour la libération de l’Azawad], aux djihadistes. Eux aussi ils voulaient manger », plaisante-t-il. Quand les armes se sont tues à Gao, Abdoul a repris la direction du champ et du marché. Aujourd’hui, il gagne presque 10 000 francs CFA par jour (environ 15 euros).

« J’ai même de quoi mettre 1 000 francs CFA de côté, pour la maladie où les aléas ». Le chef Songhaï (groupe ethnique très important au Mali) de la région de Gao, Moussa Souma est lucide : « le chômage, c’est un terreau pour le djihadisme. Le désœuvrement c’est le réel danger. On est dans un conflit asymétrique. Pour pouvoir régler le problème, il faut une forte coopération de la population ».

Favoriser l’accès à l’eau c’est aussi une manière de gagner la paix. Sur la digue d’Amachache, de jeunes Touaregs ont les yeux rivés vers l’Adrar des Ifoghas. Le vent se lève, s’engouffre dans les turbans. Il va pleuvoir.