Le sang des victimes de Nice n’avait pas fini de sécher qu’une polémique sur les responsabilités des failles du dispositif de sécurité opposait la classe politique sur les solutions à apporter à une violence qui s’installe durablement. L’assassinat du père Hamel, dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray, 234e victime du terrorisme islamiste sur le sol français en 18 mois, par son caractère particulièrement odieux et symbolique, ravive inévitablement les tensions et met à bout les nerfs d’une opinion publique qui ne supporte plus les messages défaitistes d’inéluctabilité des attentats.

Depuis sa création en 2013, la coordination des Chrétiens d’Orient en danger (Chredo) n’avait cessé de pointer le risque que les massacres contre les chrétiens d’Orient ne soient qu’un prélude à une contagion vers nos sociétés occidentales. Les répercutions de l’enfoncement de l’Orient dans la barbarie conduisent désormais nos sociétés occidentales dans un engrenage dangereux qui peut conduire à une guerre civile.

Le retour massif des djihadistes

Face à un tel enjeu en termes de sécurité et d’unité nationale, la question du terrorisme continue à être abordée avec une approche partielle qui vise à le limiter mais pas à l’éradiquer. Nos services, déjà débordés par un afflux sans précédent de djihadistes, tentent de recenser et de surveiller les milliers de Français ou de résidents identifiés comme radicalisés et s’efforcent d’empêcher leur départ. Les attentats, dont on sait qu’ils ne s’arrêteront plus, sont subis comme une fatalité. Pour éviter un affrontement entre populations et des réponses sécuritaires d’autant plus sévères qu’elles seront tardives, il faut d’urgence des mesures radicales pour anticiper les échecs militaires de l’organisation Etat islamique qui rythmeront le retour massif des djihadistes de Syrie et d’Irak, dont la formation militaire posera aux pays d’origine un problème sécuritaire d’un tout autre niveau.

Il n’est pas compréhensible que le passage des djihadistes en Syrie ou en Irak soit considéré comme un délit et non comme un crime passible de la Cour d’assises, ou qu’une partie des djihadistes soient seulement astreints au port d’un bracelet électronique dont l’efficacité est toute relative, ou pire, que certains circulent sans aucune mesure restrictive de liberté comme d’ailleurs nombre de fichés « S » pour terrorisme.

Il faut des mesures d’exception temporaires pour mettre hors d’état de nuire les personnes sur lesquelles repose une suspicion forte : tribunaux d’exception, prisons spécifiques, peines adaptées, y compris double peine et déchéance de nationalité facilitée, refus d’admission sur le territoire national. Il ne doit plus y avoir de tabou car aujourd’hui notre système judiciaire et policier a montré ses limites et son inadaptation à protéger les Français.

Mais cela ne suffira pas à contenir le phénomène qui puise ses racines et son expertise en Orient, car c’est bien en Syrie, en Irak et bientôt en Libye que se trouve la fabrique de terroristes à partir desquels, avec les moyens de communication modernes, les djihadistes s’adressent à nos populations, les gagnent à leur cause, les forment au pire et répandent leur haine. C’est bien cette gangrène islamiste qui déstabilise l’Orient ainsi que l’Afrique, qui persécute les musulmans modérés, les minorités dont les chrétiens, et qui pousse vers l’Europe des vagues de réfugiés auxquelles se mêlent aussi des terroristes.

Toutes ces crises qui paraissent insurmontables par un traitement qui ne s’attaque qu’aux conséquences peuvent trouver leur solution en s’attaquant à la cause et en en faisant la priorité absolue de la communauté internationale. Il faudrait pour cela opérer une révision de notre stratégie pour gagner la guerre dans les délais les plus courts. Mais nous faisons le contraire et nous jouons avec le feu sans tirer parti de nos erreurs passées.

Certes le compte à rebours a commencé et Daech finira par être éradiqué, mais au bout de combien de temps et avec quels dégâts ? Il faut se préparer à devoir gérer des situations instables et dangereuses pour l’Occident sur son propre sol et, par ailleurs, nous devons être conscients que les mouvements islamistes que nous soutenons aujourd’hui prendront inévitablement le relais. La Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar ont aidé à créer en 2015 « l’Armée de la conquête » en Syrie, une coalition incluant des factions islamistes. Ils entendent jouer la dangereuse carte de l’opposition entre djihadistes pour combattre Daech, faire tomber Damas et en filigrane contrecarrer l’expansionnisme iranien. C’est oublier qu’à la fin l’Occident est toujours l’ultime cible des islamistes et que les Etats sunnites finissent par payer le prix de ce marché de dupes, comme l’Afghanistan l’a largement prouvé.

Il faut maintenant avoir le courage de reconnaître que cette stratégie de gribouille est une impasse politique et militaire et nous entraîne vers le chaos. Détruire les terroristes doit devenir une priorité par la constitution d’une large coalition internationale, à laquelle devraient adhérer des pays réticents ou spectateurs, coalition capable d’intervenir militairement au sol en Irak, en Syrie, en Libye et de nouer des alliances conjoncturelles même contre nature dans ce seul but. Il faut toutefois rester réaliste, la mise en œuvre de ces mesures ne pourra pas empêcher le flux des attentats, mais du moins pourra-t-elle les limiter suffisamment, faut-il espérer, pour éviter que nos sociétés implosent.