Jeudi 27 juillet, des riverains de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), lors d’un hommage au prêtre Jacques Hamel, tué par deux membres de l’organisation Etat islamique le 26 juillet. | CHARLY TRIBALLEAU / AFP

« Je suis épuisée. » « Je commence à avoir peur. » « C’est la première fois que j’en fais des cauchemars. » « Qu’est-ce que l’on peut faire ? » En l’espace de quelques semaines, la France a été la cible de trois attaques terroristes revendiquées par l’Etat islamique. Celles-ci ont été commises au domicile d’un couple de policiers, le 1er juin, à Magnanville (Yvelines), sur la promenade des Anglais, à Nice, le soir du 14 juillet, et dans une église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) pendant la messe, le 26 juillet. Elles ont causé la mort de 87 personnes, de tous les âges et de tous les horizons.

Avec cette offensive terroriste – qui s’ajoute à celle commanditée récemment sur le sol allemand – le sentiment de sidération se dispute désormais à celui d’habitude.

« Une absence de sens »

Un premier constat s’impose : avec la succession des attaques « le niveau de terreur augmente », analyse Antoine Pelissolo, docteur en médecine, chef de service dans le pôle de psychiatrie du CHU Henri-Mondor à Créteil (Oise), spécialiste des troubles anxieux.

« Il n’y a plus de période de répit. L’effet de multiplication de ces attaques nous replonge dans la peur et nous empêche de passer à autre chose. »

Ce « niveau de terreur » est accentué par un sentiment d’insécurité lié au fait que les attaques ne sont désormais plus circonscrites à Paris et s’étendent un peu plus à la sphère de l’intime : un domicile conjugal, une fête familiale, un lieu de culte. « Il y a une dispersion des cibles. Donc on se dit qu’il n’y a plus d’endroits de sécurisation. La menace est perçue plus proche de soi, plus concrète », résume Antoine Pelissolo, aussi professeur de psychiatrie à l’université Paris-Est-Créteil, qui précise que ce sentiment d’insécurité est accru par la répétition dans le temps de ces attaques et la diversité des cibles.

A ce sentiment d’insécurité s’ajoute un sentiment d’incompréhension lié aux profils des terroristes : un individu inconnu des services de renseignement, un candidat au djihad de 19 ans assigné à résidence et placé sous bracelet électronique, ou encore un jeune homme remis en liberté après avoir été condamné pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes. « Les profils des suspects interrogent davantage que les précédents attentats. Ils interrogent l’ensemble de la société et de ses valeurs. Ces profils alimentent ce sentiment d’absence de sens », estime le professeur Pelissolo.

Les enfants « plus forts »

Les enfants, eux, semblent épargnés par ce sentiment de sidération éprouvé à la suite de cette multiplication d’attaques revendiquées par l’organisation Etat islamique (EI). « L’effet vacances atténue l’impact que cela peut avoir chez les plus jeunes. S’ils ne sont pas en collectivité, les vacances constituent une période où les enfants sont moins stressés, où ils ont la possibilité d’évacuer », estime Stéphane Clerget, pédopsychiatre et praticien à l’hôpital de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise).

Le spécialiste constate qu’avec la succession des attentats depuis un an et demi, les enfants ont intégré ce danger lié à la menace terroriste : « La multiplication fait que, chez eux, cela devient un événement possible. Ils s’y sont adaptés bien mieux que nous. Les enfants intègrent plus facilement la nouveauté et s’habituent aux nouveaux dangers », constate le pédopsychiatre, qui précise que « la menace terroriste va colorer les angoisses des plus jeunes, si tant est que des angoisses sont déjà présentes ».

L’ambivalence du sentiment « d’habituation »

Chez les adultes, la réalité est plus ambivalente : si le sentiment « d’habituation » finit par émerger, il n’efface pas le sentiment d’accablement ressenti à chaque nouvelle attaque. « Nous, les adultes, nous sommes les plus touchés, nous avons vécu dans l’idée de la sécurité absolue, d’une absence de guerre sur notre sol, ce qui est un leurre. Nos enfants, eux, n’ont pas connu cette période, donc ils s’adaptent », résume le Dr Clerget.

Dans le meilleur des cas, les adultes vont, pour se protéger, « vivre avec ». « Nous avons des facteurs de tolérance, de résilience, et d’adaptation. Et heureusement », estime le docteur François Ducrocq, psychiatre au Centre hospitalier régional universitaire de Lille (Nord). « Certaines personnes sont davantage disposées à répondre au danger, à y répondre de manière sereine, à pouvoir relativiser, à mettre les événements à distance », ajoute le Pr Antoine Pelissolo, professeur de psychiatrie.

Mais s’habituer ne veut pas dire reprendre une vie « comme avant », préviennent les spécialistes. « Nous allons développer des stratégies d’adaptation, comme éviter la foule ou moins prendre les transports en commun », détaille le psychiatre François Ducrocq. Une attitude contre-productive pour Laurie Hawkes, psychologue clinicienne, auteure de La Peur de l’autre, qui conseille de « ne rien changer à ses habitudes, d’autant que ce type d’événement, imprévisible, ne possède aucun schéma repérable ».

Le risque du déni

Le risque étant que certaines personnes, pour s’épargner de trop grandes angoisses, adoptent une posture de déni, « comme ne plus du tout écouter les informations, où se dire que ça arrive aux autres », liste Antoine Pelissolo, évoquant « un risque d’effet boomerang » :

« Il ne faut pas faire sans, mais négocier avec. Si on veut s’adapter aux choses, il faut les tolérer, donc les digérer. »

Les spécialistes conseillent plutôt « la rationalisation » de ces événements. « Que ce soit pour les enfants ou les adultes, il s’agit de bien comprendre que ce sont des événements dramatiques, mais qui restent rares, par exemple, contrairement aux accidents de la route qui font beaucoup plus de morts, mais qui n’empêchent personne de prendre la voiture », conseille Stéphane Clerget.

Antoine Pelissolo conseille, lui, de ne pas laisser ces événements prendre le dessus sur ses projets personnels et rester acteur de sa vie :

« Il faut continuer à vivre ses valeurs personnelles. Il faut rester sur ses projets de vie, maintenir son cap, sans pour autant nier la réalité. Il faut rester acteur de sa vie, ne pas être abattu, en se réfugiant dans des activités sur lesquelles on a une emprise, comme la famille et les amis. »

Une façon de répondre, par effet de contraste, aux terroristes dont l’un des projets est d’attaquer la sphère de l’intime.