Le rhum, très présent traditionnellement dans les Antilles, n’est pas une source de consommation excessive. | KENZO TRIBOUILLARD / AFP

On fume moins, on boit moins, on se drogue moins dans les collectivités d’outre-mer qu’en métropole. Ces affirmations, si elles vont à l’encontre des idées reçues, ne sont pas tout à fait nouvelles. Mais pour la première fois, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) dispose d’une photographie complète et détaillée des usages de « drogues » (tabac, alcool, cannabis et autres) en Guadeloupe, en Martinique, à la Réunion et en Guyane, et ce, pour les personnes âgées de 17 à 75 ans. Les résultats, recueillis en 2014 par l’OFDT et l’agence Santé publique France et comparés aux données de la métropole, ont été rendus publics jeudi 28 juillet.

Plusieurs facteurs expliqueraient cet usage plus limité de produits addictifs en outre-mer. Tout d’abord, il ne faut pas négliger le « contexte familial, social et religieux, qui favorise un contrôle parental et sociétal plus fort auprès des jeunes », avancent François Beck, Jean-Baptiste Richard, Thibault Gauduchon et Stanislas Spilka, les auteurs de l’étude. « Beaucoup de jeunes Antillais ne recherchent pas les effets procurés par ces produits, et n’ont peut-être pas envie de mettre en péril leur performance sportive », complète M. Beck, le directeur de l’OFDT. Les situations ne sont toutefois pas complètement homogènes d’un territoire à l’autre.

Deux à trois fois moins de vin

« Aux Antilles, l’ivresse est moins un rite de passage qu’en métropole »

Pour l’alcool, la fiscalité justifierait une consommation moindre chez les Ultramarins. Dans les îles, les taxes sur le vin, le champagne et la bière – toutes les boissons importées – sont beaucoup plus élevées. Rapport de cause à effet ? La consommation hebdomadaire de vin y est deux à trois fois moins importante qu’en métropole (37 % dans l’Hexagone chez les 15-75 ans, contre 17 % en Martinique, 18 % en Guadeloupe, 15 % en Guyane, 19 % à la Réunion). En revanche, la consommation hebdomadaire de bière ou d’alcool fort est sensiblement la même (entre 15 et 20 %). Le rhum, s’il est très présent culturellement, « n’est toutefois pas une boisson de consommation extrêmement courante », rappelle François Beck, qui ajoute qu’« aux Antilles, l’ivresse est moins un rite de passage qu’en métropole ».

En revanche, lorsque les Ultramarins boivent, les conséquences sont plus dramatiques. En Guadeloupe et Martinique, « la part des accidents [de la route] pour lesquels l’alcool est impliqué est bien plus élevée qu’en métropole ». En Martinique, le tiers des accidents corporels et la moitié des accidents mortels sont liés à l’alcool, contre respectivement 11 % et 28 % en métropole. A la Réunion, 220 décès sont chaque année (2010-2012) directement imputables à l’alcool. C’est deux fois plus que dans l’Hexagone.

Peu de fumeurs aux Antilles

La tendance générale à moins boire n’est toutefois pas partagée par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. L’OFDT, qui a récemment travaillé sur la question, a noté qu’en Polynésie, l’alcool joue un vrai rôle dans les rites de passage à l’âge adulte. Que la valorisation de l’ivresse chez les jeunes y est très forte, comme en métropole. Et que la boisson a aussi pu être un refuge pour les hommes des sociétés traditionnelles confrontés à la modernité – les buveurs sont majoritairement masculins.

Si le prix peut justifier des habitudes de consommation d’alcool différentes, l’explication ne tient pas pour le tabac. Les cigarettes sont en effet beaucoup moins chères aux Antilles et en Guyane. Pourtant, on y fume bien moins qu’en métropole. En 2014, un tiers des adolescents et des adultes déclaraient fumer au moins une cigarette par jour en métropole. En Guadeloupe et en Guyane, ils ne sont que 12 %. Sur ce sujet toutefois, les Réunionnais dénotent un peu et partagent davantage les habitudes des métros. Comme on grille moins de cigarettes au soleil, on vapote également moins, la cigarette électronique étant le plus souvent utilisée comme substitut tabagique.

La faible consommation de cannabis est liée au faible taux de fumeurs. En Guadeloupe, les adultes sont deux fois moins nombreux à avoir testé l’herbe – plus consommée que la résine – que dans l’Hexagone.

Le crack, très visible mais peu fréquent

L’exception réunionnaise pour le tabac vaut aussi pour les produits de substitution à l’héroïne comme le Subutex, plus consommé sur l’île qu’ailleurs. Est-ce lié à la présence de Métropolitains venus se soigner à la Réunion ? Globalement, sur cette île, « où les mélanges de populations sont plus prononcés qu’ailleurs », rappelle l’un des auteurs de l’étude, les habitudes de consommation – hormis pour l’alcool – sont plus proches de ceux de l’Hexagone.

Pour ce qui est de la cocaïne, la situation géographique des îles de l’arc Caraïbes et de la Guyane – coincées entre l’Amérique du Nord, grosse consommatrice, et les pays producteurs sud-américains – n’encourage pas forcément les usages. Quant à la consommation de crack, les scènes visibles en pleine rue à Cayenne, Pointe-à-Pitre et Fort-de-France « ne signifient pas qu’il y ait une diffusion plus prononcée de la substance au sein de la population générale ».

La photographie des usages des drogues dans les collectivités d’outre-mer sera véritablement complète quand Mayotte sera intégrée aux travaux. Les données de l’île de l’archipel des Comores, devenue département français en 2011, étaient encore insuffisantes pour être exploitées cette fois-ci, mais devraient l’être dans les prochaines études.