Une mosquée à Soweto,au sud de Johannesburg. | Reuter / REUTERS

Deux frères jumeaux sud-africains planifiaient-ils de faire exploser l’ambassade des Etats-Unis à Pretoria ? C’est la lourde accusation portée par la police à l’encontre de Brandon-Lee et Tony-Lee Thulsie, 23 ans, arrêtés début juillet dans une banlieue de Johannesburg. Ils seront de retour devant un juge ce jeudi 28 juillet pour demander leur libération sous caution en attendant un éventuel procès. Les suspects, qui dénoncent des « arrestations illégales », sont aussi accusés d’avoir projeté de commettre des attentats contre des institutions juives dans le pays, et d’avoir voulu rejoindre les rangs de l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie.

Contrairement à d’autres pays africains, en particulier en Afrique de l’Ouest et de l’Est, et au Maghreb, l’Afrique du Sud a jusqu’à présent été épargnée par le terrorisme islamiste. Ces arrestations sont les premières en lien supposé avec le groupe EI. Début juin, l’ambassade américaine avait déjà mis en garde contre le risque d’attaques planifiées par des groupes terroristes « dans un avenir proche ». Les cibles ? « Des endroits où se réunissent des citoyens américains en Afrique du Sud, tels que les centres commerciaux de luxe et les quartiers commerçants à Johannesburg et au Cap ».

Un avertissement, relayé par le Royaume-Uni, qui irrita fortement les autorités sud-africaines. Celles-ci dénoncèrent des informations « douteuses », et des « tentatives destinées à faire croire à l’inaptitude du gouvernement, et à provoquer (…) une hystérie publique ». « Nous restons un pays démocratique fort et stable, et il n’y a pas de danger immédiat » rassura le ministère sud-africain de la sécurité.

Ce n’est pas la première fois que l’Afrique du Sud, économie la plus industrialisée du continent, est pointée du doigt comme cible potentielle pour un attentat terroriste islamiste.

« Refuge » de terroristes

En septembre 2009, les Etats-Unis avaient fermé pendant plusieurs jours leur ambassade et leurs consulats, craignant une attaque du groupe terroriste somalien Al-Chabab. Avant la Coupe du monde de football en 2010, c’est Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) qui avait menacé de mener des opérations pendant la compétition.

Selon des documents confidentiels révélés en 2015 par la chaîne de télévision Al-Jazira, les services de renseignements sud-africains auraient déjoué entre 2007 et 2010 plusieurs attentats des Chabab ou d’Al-Qaïda visant des intérêts américains et israéliens.

« Le risque que l’Etat islamique ou Al-Qaida commette aujourd’hui des attentats en Afrique du Sud est faible, mais la menace du loup solitaire demeure », estime Robert Besseling. Le directeur d’ExxAfrica, un cabinet de conseils de gestion du risque, résume ainsi l’avis de la plupart des spécialistes.

Malgré la présence d’intérêts occidentaux, l’Afrique du Sud n’apparaît pas comme une cible privilégiée pour les organisations terroristes islamistes. Pretoria mène une politique étrangère plutôt neutre, ce qui limite les risques de représailles. Un otage sud-africain, enlevé en 2011 à Tombouctou, au Mali, est toutefois toujours retenu par AQMI. Et dans une société qui prône la tolérance religieuse, les 900 000 à 1,2 million de musulmans sud-africains (presque 2 % de la population) sont assez bien intégrés.

Les groupes terroristes ont-ils d’ailleurs intérêt à s’en prendre à un pays qui leur servirait de base arrière logistique et financière ? « L’Afrique du Sud est utilisée comme un refuge, les terroristes y séjournent grâce à de faux papiers obtenus facilement », affirme Nick Piper, directeur de Signal Risk, spécialisé dans la prévention des risques en Afrique, « et malgré l’absence de preuves formelles, il semblerait bien que des individus installés dans le pays participent au financement de ces groupes ».

Soupçonnée d’avoir pris part à l’attaque des Chabab contre le centre commercial Westgate à Nairobi en 2013 (plus de 67 morts), la Britannique Samantha Lewthwaite avait auparavant résidé pendant plusieurs années dans un quartier de Johannesburg, à Mayfair, grâce à un passeport sud-africain obtenu frauduleusement. Celle qui a été surnommée la « Veuve blanche » - son mari faisait partie des kamikazes des attentats de Londres en 2005 – aurait aidé, depuis l’Afrique du Sud, à organiser et financer l’attaque terroriste, selon un rapport des services secrets kényans.

Il sera aussi découvert après sa mort en Somalie en 2011 que le chef présumé d’Al-Qaida en Afrique de l’Est, Fazul Abdullah Mohammed, était en possession d’un passeport sud-africain établi au nom de Daniel Robinson. Début 2015, le Conseil de sécurité de l’ONU avait averti l’Afrique du Sud de la probabilité que des groupes terroristes utilisent son territoire comme base opérationnelle.

Progression du wahhabisme et départ pour le djihad

Ceux-ci disposent-ils également de camps d’entraînement en Afrique du Sud ? La question, régulièrement relancée par la presse locale, divise les spécialistes. « Aucune preuve n’a été apportée à ce jour » répondent Robert Besseling et Nick Piper. « Des camps militaires existent bel et bien », assure pour sa part Hussein Solomon, auteur de Djihad : une perspective sud-africaine (2013). « Et ce n’est pas nouveau, selon le professeur de sciences politiques à l’université de l’Etat-Libre de Bloemfontein. Dans les années 1990, vous aviez déjà des militants du Hezbollah et du Hamas qui s’entraînaient ici ».

Même s’il reste limité, le risque d’une attaque menée par un Sud-Africain isolé, qui se serait radicalisé à distance sous l‘influence de la propagande d’EI, existe. « Il y a des militants qui n’ont pas les moyens d’aller rejoindre l’Etat islamique, veut croire Nick Piper. Pour eux, agir au nom du groupe en Afrique du Sud leur permettrait de démontrer leur soutien aux idéaux de l’organisation, et il est difficile de prédire ce genre d’attaque de loup solitaire ».

Depuis deux ans, jusqu’à 150 Sud-Africains ont rejoint EI selon Signal Risk. En avril 2015, à l’aéroport du Cap, une adolescente de 15 ans avait été débarquée d’un avion alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre le groupe djihadiste en Syrie en passant par la Turquie. Ses grands-parents avaient donné l’alerte de sa disparition, et une correspondance sur des réseaux sociaux avec des recruteurs d’EI avait été retrouvée.

« Ceux qui partent ne le font pas car ils se sentent marginalisés en Afrique du Sud, précise Na’eem Jeenah, directeur du centre Afro-Moyen-oriental (AMEC) à Johannesburg. Ils sont souvent issus de la classe moyenne, et sont poussés par l’envie de rejoindre les seuls qui luttent, à leurs yeux, contre l’impérialisme occidental anti-musulman, et par la volonté de bâtir ce califat dans cette nouvelle terre ».

« C’est seulement une petite minorité qui devient des combattants » insiste Jasmine Opperman, spécialiste du terrorisme, qui mène un programme de déradicalisation en Afrique du Sud pour des adolescents, « l’appel de la foi les pousse plutôt à aller construire leur vie là-bas, parfois en famille ».

Les observateurs s’inquiètent d’une progression du wahhabisme en Afrique du Sud, un courant de l’islam encourageant une application plus stricte de la charia. Si certain d’entre eux soupçonnent l’Arabie saoudite de financer quelques mosquées et écoles islamiques, Na’eem Jeenah juge que cette influence extérieure est très réduite. « Par contre, même s’ils ne se revendiquent pas de l’Etat islamique, certains prêcheurs en Afrique du Sud sont extrêmes dans leurs discours, et c’est problématique » confie-t-il.

Face à ces menaces de basse intensité, les autorités sud-africaines peinent à trouver le ton juste. « Le gouvernement a tendance à affirmer que tout va bien pour éviter d’inquiéter la population, mais le manque de transparence risque de produire l’effet inverse », estime Martin Ewi, spécialiste des menaces transnationales à l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Pretoria.

Les faiblesses du pays sont connues : « inefficacité de la police, défaillance du renseignement, frontières poreuses, corruption dans les services d’immigration, absence de stratégie claire de lutte antiterroriste » liste Robert Besseling. L’expert met en garde : « même si un attentat est aujourd’hui peu probable, ne pas se préparer à ce risque augmente la possibilité qu’il survienne un jour ».