Dans une tribune publiée jeudi 28 juillet dans Le Monde et sur LeMonde.fr, le ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas, répond aux propositions du président du parti Les Républicains, Nicolas Sarkozy, après les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). L’ancien chef de l’Etat a proposé, mercredi, dans un entretien au Monde, une série de mesures, appelant à sortir du « cadre » juridique actuel. Mais pour le garde des sceaux, « la France ne peut pas concevoir le combat contre le terrorisme, contre la radicalisation, autrement qu’avec les armes du droit » : « L’arbitraire n’est pas acceptable et au nom de l’efficacité, je refuse cette volonté de “Guantanamoïsation” de notre droit. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est notre boussole. »

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  • Un « système d’exception » serait inefficace

M. Urvoas considère que « la détermination totale dans cette guerre – car c’en est une – [contre le terrorisme] ne devrait jamais se traduire par la renaissance des lettres de cachet ou la réhabilitation de la loi des suspects… Autrement dit, par la légalisation de la tyrannie de l’arbitraire. »

Pour le ministre, « l’ancien président de la République, qui a supprimé des dizaines de milliers d’emplois de magistrats, de policiers et de gendarmes, propose de réduire notre droit à un système d’exception, dont nous savons, pour le voir en œuvre dans d’autres pays, qu’il est inefficace et ne saurait nous garantir contre les impulsions meurtrières des terroristes ».

  • Le gouvernement a « été au plus loin des possibilités »

« Dans bien des domaines, nous avons été au plus loin des possibilités permises par la Constitution et nos engagements internationaux », estime M. Urvoas, qui évoque notamment loi antiterroriste du 3 juin 2016 et la loi du 21 juillet 2016 sur l’état d’urgence. Pour lui, plusieurs propositions de la droite remettent en cause des principes républicains de base : la détention provisoire systématique pour les suspects de terrorisme « revient à demander d’effacer l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 », la rétention administrative des fichés S va à l’encontre de l’article 66 de la Constitution, la remise en cause de « la présomption d’innocence » pour « ceux qui ne sont pas encore passés à l’acte » s’oppose à une « très ancienne et constante jurisprudence du Conseil constitutionnel ».

« Nos règles constitutionnelles et européennes (…) ne peuvent être considérées comme des “arguties juridiques” faisant obstacle à la mise en œuvre de moyens adaptés aux défis du terrorisme », estime enfin l’ancien député PS du Finistère, ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale (2012-2016). M. Sarkozy avait demandé mardi à l’exécutif « de mettre en œuvre toutes les propositions » que la droite a « présentées depuis des mois, sans délai », et à renoncer aux « arguties juridiques ».

  • Ne pas se focaliser « sur les seules personnes inscrites sur nos radars »

Pour Jean-Jacques Urvoas, l’un des artisans de la loi sur le renseignement de 2015, « la réalité doit être dite : d’autres attentats auront lieu et leurs auteurs ne seront pas tous, loin s’en faut, connus de nos services de police ou de renseignement ou passés par nos prisons ».

Pour le garde des sceaux, il est donc illusoire de penser que « l’on a trouvé la solution à ces drames, en se focalisant sur les seules personnes inscrites sur nos radars », notamment après l’attentat de Nice, commis par un homme inconnu des services de renseignement. « Nos sociétés occidentales (…) produisent, de manière autonome, indépendante de tout réseau terroriste et parfois de tout parcours délinquant, des soldats obéissants de Daesh », estime-t-il. « Le combat sera long et son volet sécuritaire ne sera pas le moins difficile », conclut-il.