Le débat sur la nécessité de préserver, ou non, les limites de l’Etat de droit pour lutter contre le terrorisme représente une répétition du jeu à trois qui pourrait s’installer lors de la campagne présidentielle de 2017 entre le parti Les Républicains (LR), le Parti socialiste (PS) et le Front national (FN). Le premier critique le bilan du deuxième, le deuxième s’indigne de l’outrance supposée du premier et le troisième renvoie ses deux adversaires dos-à-dos.

Jeudi 28 juillet, Nicolas Sarkozy a poursuivi son affrontement médiatique engagé avec le gouvernement. Lors d’un déplacement dans l’Oise, le président de LR a répondu à la tribune de Jean-Jacques Urvoas, publiée le jour même dans Le Monde, dans laquelle le ministre de la justice juge inconstitutionnelle et dangereuse la proposition formulée par l’ancien chef de l’Etat de créer une « rétention administrative pour les individus fichés les plus dangereux ». « Que me répond le garde des sceaux ? Circulez, y’a rien à voir, ça serait Guantanamo, où il n’a jamais mis les pieds, où il ne sait même pas ce qui se passe et ignore même qu’il n’y a aucun contrôle juridictionnel postérieur », s’est agacé M. Sarkozy. Ravi de se retrouver au centre du débat, il a enfoncé le clou : « Le refus du débat juridique au prétexte qu’il y a une Constitution, c’est de l’argutie. Pour le statut pénal du chef de l’Etat ou pour inscrire le principe de précaution (…), on a le droit de modifier la Constitution, mais pour la sécurité des Français, on n’a pas le droit ? »

« Parts de marché »

Virulente, la charge a été reçue assez fraîchement à gauche. « La primaire de la droite fausse l’ensemble du débat national », a jugé Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, selon lequel M. Sarkozy est engagé dans une « surenchère » pour « gagner des parts de marché ». « Il n’est pas loin des positions du Front national, ce n’est pas à la hauteur », a-t-il ajouté. Dans un entretien au Monde, daté samedi 30 juillet, le premier ministre, Manuel Valls, estime que « Nicolas Sarkozy perd ses nerfs ». « Etre lucide face à la menace, ce n’est pas basculer dans le populisme », assure le chef du gouvernement.

Face à ce duel qui réactive, artificiellement ou non, un clivage droite-gauche, le Front national tente pour sa part de discréditer l’une et l’autre. « Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est la conséquence de trente ans de très graves erreurs que se partagent l’UMP [sic] et le PS. Sous les quinquennats de MM. Sarkozy et Hollande, la dérive islamiste n’a connu aucune entrave ni ralentissement », a lancé Marine Le Pen dans une interview au quotidien catholique traditionaliste Présent. Désireuse de se tailler un costume de femme d’Etat responsable et « crédible », selon le terme utilisé par son entourage, la présidente du FN a insisté sur la nécessité de préserver l’Etat de droit. Une préservation qui, selon elle, passe par la « fermeture des mosquées salafistes », l’expulsion des « imams prêcheurs de haine », le renforcement des contrôles aux frontières nationales ou encore l’arrêt de l’immigration.

« Certains font de la surenchère et lancent des propositions farfelues pour faire oublier leur bilan désastreux », estime Nicolas Bay, secrétaire général du parti d’extrême droite, pour qui M. Sarkozy tente de créer un « écran de fumée » avec ses propositions. « Ils ont échoué dans ce domaine, ils ont eu tout loisir de lutter contre le communautarisme, contre l’immigration, mais ils ne l’ont jamais fait », ajoute, de son côté, David Rachline, sénateur et maire frontiste de Fréjus (Var).

L’appareil du parti Les Républicains, en tout cas, s’est mobilisé derrière l’ancien président de la République. Deux communiqués de presse ont été envoyés en moins de vingt-quatre heures au sujet de la révision de la Constitution. Depuis l’attentat de Nice, le 14 juillet, l’opposition cherche à décrire une « gauche tétanisée », selon l’expression utilisée par M. Sarkozy dans une interview au Monde, le 27 juillet, et un exécutif trop passif pour assurer la protection des Français. Une stratégie mise en œuvre et amplifiée par Laurent Wauquiez, le numéro deux de LR, qui est allé jusqu’à réclamer dans un entretien au Figaro la démission de Manuel Valls et de son ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Comme le Front national, plus coutumier, en temps normal, de ce genre de déclarations. Dans le jeu à trois, certains peuvent parfois être tentés d’échanger les rôles.