Le pape François arrive à la messe en Pologne, le 28 juillet. | FILIPPO MONTEFORTE / AFP

C’est d’abord à la Pologne que s’est adressé le pape François en se rendant, dans la matinée du jeudi 28 juillet, au sanctuaire marial de Czestochowa, au deuxième jour de sa visite dans le pays natal de Jean Paul II, où se tiennent, jusqu’à dimanche, les 31e Journées mondiales de la jeunesse (JMJ).

Devant l’icône de la Vierge noire, symbole du catholicisme mais aussi de la nation polonaise, qui attire chaque année plus de quatre millions de pèlerins, le pontife argentin a longuement prié, avant de célébrer une messe devant une large foule essentiellement polonaise.

Cette attention était nécessaire tant les relations entre le catholicisme polonais – surplombé par la figure de Jean Paul II et marqué par le conservatisme – et François ont pu être traversées de tensions, si ce n’est de désaccords.

Apaisement

Jorge Bergoglio et l’épiscopat polonais ont eu l’occasion de s’en expliquer lors d’une rencontre à huis clos, mercredi soir. Depuis son arrivée, apparemment soucieux d’apaisement, François ne manque pas une occasion de faire applaudir le nom de Jean Paul II, comme lors de sa première rencontre avec les jeunes, jeudi après-midi. Le matin, il avait aussi rendu une visite impromptue au cardinal Franciszek Macharski, 89 ans, qui est aujourd’hui dans le coma. Ce dernier avait succédé à Karol Wojtyla comme archevêque de Cracovie quand celui-ci avait été élu pape.

Considéré comme l’un des pays les plus catholiques d’Europe, la Pologne a aussi l’un des clergés les plus conservateurs du continent. Et c’est peu dire qu’en son sein, le discours du pape argentin ne fait pas l’unanimité.

Le cardinal Kazimierz Nycz, métropolite de Varsovie, l’avait admis à demi-mot dans un entretien accordé au site Vatican Insider, avouant que François était « accepté avec enthousiasme par les laïques catholiques » mais que « l’approche des évêques et des prêtres était… différente ! »

« Un révolutionnaire semeur de trouble »

Les commentaires parfois acerbes sur les déclarations du pape dans la presse ultraconservatrice n’ont soulevé aucun rappel à l’ordre de la part de l’épiscopat. Dans un pays où 70 % de la population s’oppose à l’accueil de réfugiés, les appels de François à ce que l’Europe leur ouvre davantage ses portes ne font pas l’unanimité. Les milieux nationalistes, qui se revendiquent de la « défense de la civilisation chrétienne », sont allés jusqu’à propager des campagnes haineuses à son encontre sur les réseaux sociaux.

Certains publicistes catholiques influents l’accusent d’être un « révolutionnaire » qui « sème le trouble dans l’esprit des croyants ». On lui reproche une communication spontanée et ambiguë, comme ses déclarations témoignant d’une ouverture envers les homosexuels. Son exhortation apostolique sur la famille, Amoris Laetitia, est jugée par certains imprécise sur la contraception et trop tolérante vis-à-vis personnes divorcées.

Comme l’indique le père Kazimierz Sowa, le discours du pape François est assez éloigné du courant dominant de l’Église polonaise et prête à un certain « malentendu culturel » : « Quand le pape souligne la dimension de l’Eglise comme communauté de destin, ouverte sur le monde extérieur, l’Eglise polonaise souligne le primat du rôle de l’institution dans la pratique de la foi. »

« Stérilité intellectuelle »

Ce malaise met en évidence le profond hiatus, dans l’Eglise polonaise, entre un courant rigoriste largement majoritaire et les tenants d’un catholicisme plus « ouvert ». Les premiers sont partisans de la « religion d’Etat » et d’un clergé influent sur la vie politique, les seconds sont favorables à l’autonomie du politique vis-à-vis de l’autel.

Ces deux conceptions s’affrontent par médias interposés. Les tenants du catholicisme de combat s’appuient sur un large réseau de médias privés, où l’empire du prêtre ultra-catholique Tadeusz Rydzyk tient une place centrale. En plus de la très influente Radio Maryja, il possède une chaîne de télévision, un journal et une école de journalisme. Cette machine de propagande lutte activement contre la « pensée païenne » et la vague de sécularisation venue d’Europe occidentale.

Le Père Tadeusz Rydzyk est devenu un acteur incontournable, une des voix chrétiennes les plus écoutées dans une Eglise orpheline d’un chef. Son « catholicisme populaire » est érigé en modèle et son influence politique attire.

L’immense majorité de l’épiscopat et du clergé lui est acquise et les souverainistes du PiS (Droit et justice) au pouvoir s’appuient largement sur son public, réputé pour être l’électorat le plus discipliné du pays.

De l’autre côté du spectre, l’hebdomadaire catholique progressiste Tygodnik Powszechny fait office de voix dissonante et de référence pour l’intelligentsia catholique. Avant la venue du pape, le moine dominicain Ludwik Wisniewski y listait les « maladies » dont souffre, selon lui, l’Eglise polonaise, accusée de « manichéisme », de « sectarisme », de « stérilité intellectuelle », d’être « politisée » et d’avoir des penchants nationalistes.