CHARLY TRIBALLEAU / AFP

L’enquête sur l’assassinat du Père Jacques Hamel dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le 26 juillet, se concentre sur les conversations en ligne des deux terroristes et leurs éventuelles complicités.

C’est sur la messagerie sécurisée Telegram qu’Adel Kermiche et Abdel-Malik Petitjean, tous deux âgés de 19 ans, avaient annoncé chacun de leur côté leur volonté de passer à l’acte. C’est également sur cette application que les enquêteurs de la Sous-direction antiterroriste (SDAT) ont trouvé trace d’un premier contact direct entre les deux tueurs, le 22 juillet, quatre jours seulement avant l’attaque.

En exploitant le téléphone de Petitjean, les policiers ont découvert qu’il s’était ouvert, toujours via Telegram, de son projet terroriste à son cousin, Farid K., un Nancéen de 30 ans. Ce dernier a été mis en examen, dimanche 31 juillet, pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. « Il apparaît en effet à ce stade des investigations que Farid K. (…) avait parfaitement connaissance, si ce n’est du lieu et du jour précis, de l’imminence d’un projet d’action violente de son cousin », précise le parquet de Paris dans un communiqué.

« Faire un truc de ouf »

Les deux terroristes ne faisaient pas mystère de leur volonté de commettre une attaque en France. Le 19 juillet, soit trois jours avant leur premier contact présumé, Adel Kermiche dévoilait ainsi ses intentions dans un groupe privé sur Telegram. « Si tu veux aller au Shâm c’est assez compliqué vu que les frontières sont fermées. Autant attaquer ici, explique-t-il dans un message qu’a pu consulter L’Express. Tu prends un couteau, tu vas dans une église, tu fais un carnage, bim. Tu tranches deux ou trois têtes et c’est bon c’est fini », ajoute-t-il en invitant ses auditeurs à l’imiter et « faire un truc de ouf ».

A la même période, vraisemblablement entre le 17 et le 20 juillet, son futur complice Abdel-Malik Petitjean tournait une vidéo dans laquelle, vêtu d’un t-shirt à rayures, il menaçait la France. Partagée dans un autre groupe privé sur Telegram, cette vidéo a été repérée par un service de renseignement étranger et est à l’origine d’une fiche de signalement comportant sa photo diffusée le 22 juillet à l’ensemble des services de police.

Si le jeune homme était visé depuis le 29 juin par une fiche « S » pour avoir tenté de rejoindre la Syrie, les services ne disposaient visiblement d’aucune photo permettant de l’identifier sur cette vidéo avant qu’il ne passe à l’acte.

Des échanges constants sur Telegram

L’enquête sur l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray a permis, a posteriori, de trouver trace d’un premier contact direct sur Telegram entre les deux complices le 22 juillet. C’est à compter de cette date que le projet se concrétise. Dès le lendemain, le téléphone d’Abdel-Malik Petitjean borne à Saint-Etienne-du-Rouvray. Le jeune homme, qui habite chez sa mère à Aix-les-Bains, en Savoie, semble avoir décidé, en à peine 24 heures, de rejoindre son complice Adel Kermiche, assigné à résidence chez ses parents sous bracelet électronique.

Abdel-Malik Petitjean passe la première nuit chez Adel Kermiche, et les suivantes dans une tente, plantée dans le jardin de la maison puis dans un parc de la commune. Les deux hommes continueront durant ces quelques jours passés à Saint-Etienne-du-Rouvray à échanger sur Telegram afin de mettre au point les détails de leur projet.

Le 25 juillet, veille de l’attaque, Adel Kermiche fait mousser son projet terroriste auprès des membres de son groupe privé sur Telegram. Il promet « des gros trucs » à venir et demande à « tous ses frères et sœurs » qui le suivent de partager sa page privée. Moins d’une heure avant de faire irruption dans l’église, le 26 juillet, il envoie un dernier message à 8 h 30 invitant à « partager ce qui va suivre ».

Les soupçons d’un pilotage à distance

Les enquêteurs s’attachent désormais à comprendre comment les deux complices ont été mis en contact et s’ils ont été aidés par un tiers dans l’élaboration de leur projet. Ils soupçonnent qu’ils aient pu être inspirés, voire pilotés à distance par un complice.

Un membre de l’entourage d’Abdel-Malik Petitjean a été mis en examen dimanche, mais dans une procédure distincte : une information judiciaire ouverte il y a plus d’un an sur une filière djihadiste. Les policiers s’interrogent néanmoins sur son degré de connaissance du projet des deux tueurs, raison pour laquelle la date de son interpellation, le 27 juillet, semble avoir été avancée.

Ce candidat au djihad, Jean-Philippe Steven J.L., 20 ans, avait tenté de se rendre en Syrie avec Abdel-Malik Petitjean au début du mois de juin. Visé par une fiche « S », il avait été interpellé le 10 juin à Istanbul et renvoyé en France, un contretemps qui semble avoir incité Abdel-Malik Petitjean - qui n’était à l’époque pas fiché - à regagner la Savoie par ses propres moyens.

Les deux terroristes de Saint-Etienne-du-Rouvray avaient donc tous deux échoué dans leur projet de rejoindre la Syrie. Une frustration qu’ils ont semble-t-il dépassée en projetant un attentat sur le sol français, peut-être aiguillés par un tiers. Leur rencontre sur Internet leur fournira l’occasion de concrétiser en quelques jours leur projet macabre.

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