Pikachu partout, Ronflex nulle part. Pokémon Go, le jeu vidéo en réalité augmentée à succès développé par Niantic, est officiellement sorti depuis une semaine en France, et est d’ores et déjà un énorme succès, l’un des plus grands de l’histoire du jeu vidéo. Perclus de bugs et de problèmes de connexion, doté d’une interface moche et d’explications pour le moins sommaires, il a pourtant battu, dans quasiment tous les pays où il est disponible, tous les records de téléchargement.

Alors bien sûr, les grincheux y verront la toute-puissance d’une campagne marketing mondiale docilement relayée par une presse aussi dénuée de colonne vertébrale qu’un Pokémon insecte, mais la vérité est beaucoup plus simple : on s’amuse en jouant à Pokémon Go.

S’amuser, souvenez-vous, c’est cette activité bienvenue l’été, surtout lorsque l’actualité déborde d’informations anxiogènes. Entre deux attentats terroristes, avant une énième remontée des chiffres du chômage, quelques millions de Français ont découvert ou redécouvert le plaisir simple d’arpenter les rues de leur ville ou village, d’y faire des rencontres, et ont renoué avec le plaisir enfantin de collectionner des petites bestioles, ou avec celui, plus adolescent, de défendre l’arène locale contre le camp d’en face, façon West Side Story.

Effet miroir

Pokepedia

C’est le côté miroir du jeu : que l’on ait joué ou non à Pokémon bleu et rouge dans les années 1990, Pokémon Go nous renvoie à l’image que nous nous faisons de l’enfance. On peut y trouver une nostalgie certaine, résumée sur les réseaux sociaux par différentes variantes d’une blague ayant beaucoup circulé ces derniers jours : « Grandir dans les années 1990 : “Arrête de jouer à Pokémon et va t’amuser dehors.” Grandir dans les années 2010 : “Arrête de jouer à Pokémon et rentre à la maison.” »

Mais il est aussi facile d’y projeter, consciemment ou inconsciemment, les peurs que nous éprouvons face à la jeunesse. Laurence Rossignol, la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, y a vu un signe d’enfermement dans un monde virtuel ; Oliver Stone, en pleine promotion de son film biographique sur Edward Snowden, y a trouvé l’ombre du totalitarisme et de Big Brother ; le patriarche de Moscou s’inquiète, lui, de l’ombre du démon, qui planerait sur les téléphones des plus jeunes.

Et pourtant. La chasse aux Pikachu et autres Dracaufeu n’est pas l’apanage des enfants et des jeunes adolescents. Les premiers sondages semblent plutôt indiquer que le joueur typique de Pokémon Go est plutôt une joueuse, et que les 18-30 ans sont nettement plus nombreux que les moins de 18 ans à avoir téléchargé l’application.

Des problèmes bien réels

Le jeu reste loin de plaire à tout le monde. Pour quelques puristes du jeu vidéo, par exemple, Pokémon Go n’est « pas un vrai jeu ». Une expression fort peu scientifique et à la définition mouvante, qui peut, selon les interlocuteurs, vouloir dire que le titre n’est pas aussi bon que les jeux Pokémon classiques, ou que la personne qui utilise ce terme apprécie peu de voir le grand public envahir l’entre-soi des fans historiques.

Sur le site Jeuxvideo.com, connu pour sa vaste et remuante communauté de lecteurs, la note de 18/20 attribuée au jeu n’a pas fait l’unanimité. Les lecteurs pouvant eux aussi proposer leur note, plusieurs ne se sont pas privés d’attribuer un 0/20 au titre. Résultat, d’autres ont cherché à surcompenser : l’un d’eux, sous le pseudo Eaudepluie, lui a accordé un 20/20. Il pensait mettre 18, mais, explique-t-il dans un langage peu châtié, « il y a les gens matures et tolérants, et les bitch de merde ».

Alors, bien sûr, la lassitude face à l’omniprésence de Pokémon Go est aussi fort compréhensible. Mais parmi les « rageux », on peut distinguer celles et ceux qui ont décidé que le jeu était idiot, point à la ligne, et les critiques plus fondées. Qui rappellent, par exemple, que c’est bien joli de chasser les Ronflex, mais que le jeu est aussi le produit d’une très capitaliste filiale de grands groupes qui va permettre à McDonald’s d’attirer les jeunes chalands dans ses restaurants grâce à des Pokémon exclusifs.

Tout n’est pas rose dans le monde en réalité augmentée de Pokémon Go, à commencer par la manière dont l’application collecte une impressionnante quantité de données personnelles sur ses utilisateurs. Et les joueurs habitant à la campagne ou dans les quartiers les plus pauvres ne jouent pas tout à fait au même Pokémon Go que les autres : les Pokéstops, les endroits où se trouvent les indispensables Pokéballs et autres bonus, sont principalement situés en ville, et plutôt dans les quartiers centraux.

Mais voilà, malgré tous ses défauts et ses problèmes, difficile, une semaine après son lancement, de vraiment détester Pokémon Go. Les réseaux sociaux débordent de témoignages de parents heureux d’avoir pu jouer avec leurs enfants, d’inconnus s’étant rencontrés à la faveur de l’apparition d’un Pokémon rare, de récits épiques de voisins de quartier s’alliant pour reprendre une arène difficile… Bref, de tous les petits moments de bonheur à plusieurs que permet un jeu vidéo. Parce que, comme toutes les déclinaisons de la licence – bleu, jaune, argent, rubis, X, ou Go –, les jeux Pokémon, c’est mieux avec des amis.