Le ministre français des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault est en visite officielle en Afrique de l’Est. Après le Kenya, le 1er août, il se rend aujourd’hui en Tanzanie. Dans un entretien au Monde Afrique, le ministre explique les enjeux de son déplacement dans une zone éloignée de l’Afrique francophone.

Les échanges se multiplient entre la France l’Afrique de l’Est. Paris s’éloigne-t-il de ce qu’on a pu considérer comme son « pré carré » ?

Il n’y a pas de précarré. Pour nous, l’Afrique est un tout. Il n’y a pas que l’Afrique de l’ouest, le Sahel et l’Afrique francophone : il y a aussi cette Afrique de l’Est, qui est en plein essor économique. Traditionnellement, c’est vrai, on s’y intéressait moins. Rendez-vous compte : c’est la première visite d’un ministre français des affaires étrangères au Kenya depuis 15 ans !

Cette partie de l’Afrique a un immense potentiel, qu’il faut accompagner. Je me rendrai également bientôt en Éthiopie. De manière plus générale, je m’efforce de sensibiliser mes collègues européens à l’importance et au potentiel de l’Afrique. Au dernier sommet de l’OTAN, début juillet, j’ai ainsi été très heureux d’entendre la chancelière Angela Merkel appeler à mieux coordonner notre approche stratégique vis-à-vis du continent.

Dans une tribune, publiée dans le quotidien kényan The Star, vous vous réjouissez que les investissements et le commerce entre le Kenya et la France aient progressé d’un quart entre 2014 et 2015. Avec l’Afrique de l’Est, c’est une relation plus « business » et moins politique ?

Non, c’est les deux. Durant cette visite, nous aborderons le combat commun contre le terrorisme, ainsi que les différents conflits de la région.

Le Kenya est à nos yeux un excellent exemple de cette Afrique dynamique et en plein essor économique. C’est un pays qui montre la voie sur le continent, avec une grande capacité d’innovation, d’investissement, une part remarquable des énergies renouvelables dans le mix énergétique, une démocratie qui se consolide et un véritable saut technologique, à travers par exemple l’essor du mobile banking.

Le Kenya, cependant, continue d’afficher sa volonté de fermer le camp de réfugiés de Dadaab, le plus grand du monde, malgré les protestations des acteurs humanitaires… Quelle est la position de la France sur le sujet ?

Nous respectons la décision du Kenya, mais nous souhaitons que tout cela se passe en étroite coordination avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés et dans le respect des traités internationaux. Sinon, on risque le chaos et la violence.

En Somalie, plusieurs pays ont annoncé le retrait de leurs troupes de Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). Récemment, les ONG ont dénoncé la mort de 14 villageois somaliens, tués par les troupes éthiopiennes. L’Union Européenne et la France doivent-elles revoir leur soutien à l’AMISOM ?

Nous soutenons l’Union Africaine et on ne peut pas laisser les Chababs déstabiliser le pays. Mais nous demeurons vigilants : la protection des civils est cruciale dans les opérations de maintien de la paix. Le 10 juin, j’ai présidé une réunion au Conseil de sécurité [des Nations Unies] à ce sujet. La France a une expérience à apporter, du fait de son engagement dans le domaine du maintien de la paix, notamment en Afrique. Il ne faut pas fermer les yeux sur de possibles exactions.

Le Conseil de Sécurité a adopté la semaine dernière une résolution proposée par la France, permettant l’envoie de 228 policiers au Burundi. Cela est-il vraiment suffisant ?

La résolution a été adoptée après un énorme travail de dialogue mené par la France avec tous les membres du Conseil de sécurité et avec les autorités burundaises. 228 policiers, ce n’est certes pas beaucoup. Il s’agit d’une force d’observation, et non d’intervention militaire. Mais c’est déjà un signe et un message qui est donné afin d’apporter des garanties et ainsi apaiser les tensions. Cela montre que la communauté internationale ne ferme pas les yeux sur la situation au Burundi.

Au Soudan du Sud, la force de l’ONU, la MINUSS, paraît totalement dépassée par les événements. Cela vous inquiète ?

C’est un dossier très compliqué. Les accords signés entre l’opposition et le pouvoir n’ont pas été respectés. En conséquence, le pays est aujourd’hui au bord du gouffre.

Dans tous les cas, aucun conflit en Afrique ne doit susciter l’indifférence de la communauté internationale. J’insiste sur le rôle crucial que jouent l’Union Africaine et des voisins des pays en conflit, comme le Kenya, dans la résolution de ces tensions. Les Africains doivent régler eux-mêmes leurs problèmes, avec notre soutien.

François Hollande, se rendra-t-il aussi en Afrique de l’Est ?

Le président de la République s’est déjà rendu en Éthiopie. Lorsque j’ai évoqué mon voyage au Kenya et en Tanzanie avec lui, j’ai constaté tout l’intérêt qu’il porte à cette région. Je suis certain qu’il saisira toute opportunité d’y revenir.