Pokémon Go, le jeu mobile en réalité augmentée qui a séduit des millions de joueurs, serait « lié à la CIA ». C’est ce qu’essaie de démontrer le site de propagande russe sputniknews.com. Ce dernier affirme, après avoir parcouru les conditions d’utilisation de l’application, que cette dernière fournirait massivement aux services de renseignement américains des données personnelles des utilisateurs.

Le site russe développe ce scénario, digne d’un récit d’espionnage, des premières minutes de jeu sur Pokémon Go :

« L’application vous félicite pour votre premier succès, parce qu’elle sait comment il est important pour le joueur d’être encouragé. Puis, elle requiert que vous filmiez vos premiers Pokémon captés de tous les angles – et obtient donc les photos de votre appartement en détail, y compris les coordonnées et l’angle d’inclinaison du smartphone. »

Et d’imaginer l’exploitation qui pourrait en découler à des fins de surveillance. « Imaginez-vous cela : le renseignement veut savoir ce qui se passe actuellement, par exemple… au Palais de l’Elysée. Et une minute plus tard, les députés, les journalistes, les employés qui s’y trouvent sont tous rivés sur leurs portables qui leur signalent qu’un certain nombre de Pokémons sont dans la place… »

Cette théorie a également été reprise par plusieurs sites peu fiables, comme nouvelordremondial.cc ou le blog américain à tendance conspirationniste infowars.com. Autant d’articles partagés des milliers de fois sur les réseaux sociaux par des internautes inquiets.

Capture d'écran du site américain à tendance conspirationniste infowars.com, qui affirme que Pokémon Go est « lié à la CIA ». | Infowars.com

Ultime preuve de la filiation entre Pokémon Go et la CIA, selon les tenants de cette théorie : le fondateur de Niantic, l’éditeur de Pokémon Go, est un certain John Hanke. Or, ce dernier a également cofondé une autre firme, Keyhole, au début des années 2000. Cette firme spécialisée dans des applications de visualisation des données géospatiale a été rachetée par Google en 2004. Mais avant cela, elle a reçu (parmi de nombreux autres) des financements d’In-Q-Tel, un fond d’investissement géré par la CIA.

POURQUOI C’EST TROMPEUR

La firme Niantic recueille effectivement à travers Pokémon Go un certain nombre de données personnelles sur ses utilisateurs, selon une méthodologie détaillée ici. Certaines sont indispensables au fonctionnement du jeu, comme l’accès à la localisation. D’autres sont utilisées pour « personnaliser » et « améliorer » ses services, comme les informations liées au compte du joueur, les adresses e-mail ou les données de navigation.

Cela pose donc la question du traitement de ces données : lesquelles vont être conservées, combien de temps et à quelles fins ? Concernant les informations « géoréférencées », l’entreprise indique qu’elle les recueille et les stocke et qu’elles peuvent être partagées au sein de l’application : « Par exemple, lorsque vous suivez certaines actions pendant le jeu, votre nom d’utilisateur et votre localisation (ou ceux de votre enfant autorisé) peuvent être partagés, dans l’application, avec d’autres utilisateurs participant au jeu. »

Au-delà de Niantic, certaines de ces informations peuvent être envoyées à des tiers, qui sont listés, à chaque fois dans des conditions spécifiques. Comme le note sputniknews.com, les créateurs du jeu indiquent bien coopérer « avec le gouvernement, les autorités compétentes ou des parties privées pour appliquer et respecter la loi ».

Pas d’accès au micro du téléphone

Contrairement à ce qu’affirment les théories alarmistes, Niantic ne demande à aucun moment l’accès au micro du téléphone du joueur (alors que c’est le cas pour l’appareil photo et la géolocalisation). De même, il n’est à aucun moment question de stocker ou de diffuser à un tiers des photos prises à l’intérieur de l’appartement du joueur ou des données issues du micro du téléphone.

Fournir de telles images ou enregistrements sonores aux autorités contreviendrait donc à ses conditions d’utilisation. Si c’était le cas, ce ne serait certes pas la première controverse du genre (Google, Facebook, ou Snapchat ont déjà été pointés du doigt en la matière). Mais rien ne vient appuyer cette hypothèse concernant Pokémon Go.

Quant à la surveillance étatique dite « de masse », elle peut aussi se pratiquer hors d’un tel cadre, comme l’ont montré par exemple les révélations d’Edward Snowden. Mais rien ne permet d’affirmer que le jeu de Niantic la faciliterait.

Enfin, certains articles prétendent qu’un certain David Icke, connu pour ses prises de positions conspirationnistes, aurait pris position contre le jeu parce qu’il s’agit « d’une application militaire ».

http://www.nouvelordremondial.cc/2016/07/30/david-icke-ne-jouez-pas-a-pokemon-go-videoanglais/

Sauf que ces déclarations n’existent pas. La vidéo censée les présenter, intitulée « David Icke : arrêtez de jouer à Pokémon Go maintenant, voici pourquoi » et visionnée plus de 300 000 fois sur YouTube, n’évoque pas une seule fois le jeu…

Des questions sur la protection des données

Si, en l’état actuel des choses, il est impossible de certifier que Pokémon Go serait une sorte de cheval de Troie de la CIA pour espionner les joueurs, l’application soulève tout de même des questions sur l’exploitation des données personnelles. Une première version s’était ainsi avérée trop gourmande à ses débuts, demandant un accès étendu aux comptes Google de ses adeptes (une erreur corrigée depuis).

L’ONG américaine Common Sense Media a écrit le 19 juillet dernier une lettre à John Hanke, le patron de Niantic, s’alarmant de l’attention « apparemment insuffisante » apportée par les développeurs du jeu aux questions de vie privée et de sécurité. L’Electronic Privacy Information Center a de son côté demandé à la Federal Trade Commission, une agence indépendante du gouvernement américain, d’enquêter sur les possibles risques en termes de protection des données personnelles de l’application.