Une des figures marquantes et obstinées, puisqu’elle ne date pas d’hier, de la pop culture contemporaine, notamment cinématographique, est celle du super-héros, généralement (sauf exception comme Superman) personnage humain doté de pouvoirs supérieurs. Les exploits cinématographiques, régulièrement réitérés à coups de « sequels », de suites et de « reboots », témoignent de ce que ces mythologies de papier, puisque venues de la bande dessinée, se sont désormais installées durablement sur les écrans du monde entier.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le festival Fantasia de Montréal, qui s’est clos mercredi 3 août, orgie cinématographique de trois semaines à qui rien de ce qu’est le cinéma populaire d’aujourd’hui n’est étranger, propose en sélection des films mettant en scène de telles créatures. Mais l’intérêt de cette manifestation aura été de proposer, à des spectateurs nombreux et que l’on devinait incollables sur le sujet, diverses variations et prolongements, comme une alternative aux blockbusters produits par l’industrie hollywoodienne.

Un super-héros fétichiste

Passé à la moulinette de la grosse farce parodique, le super-héros devient, par exemple, « Hentai Kamen » (littéralement « le pervers masqué »), dans une saga dont on a pu voir le deuxième volet, HK2 : The Abnormal Crisis, réalisé par le Japonais Yuichi Fukuda. Le personnage principal, uniquement vêtu de bas résilles et d’un string à bretelles, est un super-héros puisant ses pouvoirs en reniflant des petites culottes, fétichiste et obsédé sexuel luttant contre une organisation criminelle qui cherche à lui retirer ses pouvoirs en faisant disparaître tous les sous-vêtements féminins, déjà portés, de la surface de la Terre !

Plus sérieusement, deux productions indépendantes américaines travaillaient cette mythologie de façon plus subtile, quoique parfois non dénuée d’humour. Superpowerless, de Duane Andersen, met en scène un ancien super-héros ayant perdu ses pouvoirs et devenu chômeur. Son existence prend dès lors l’allure d’une vague survie dépressive. Ennui conjugal, crise de la maturité, tentation de l’adultère, mauvaise conscience, tissent ainsi les fils d’une vie banale, déprimante et morne. Les acrobaties et prodiges (l’homme avait, paraît-il, la capacité de voler, don miraculeux dont il est tenté régulièrement de vérifier la disparition en pensant à se jeter dans le vide) ont laissé la place à un ruminement stérile. Le drame psychologique un peu plat (mais c’est bien la platitude d’une vie sans qualité que le film voudrait saisir) a remplacé les exploits spectaculaires.

La malédiction des super-pouvoirs

Le personnage principal de The Unseen, de Geoff Redknapp, est un ouvrier qui devient progressivement, morceau par morceau, invisible. Cette prodigieuse qualité se transforme en une forme de maladie dont il faut cacher le plus longtemps les symptômes. L’homme, divorcé, doit par ailleurs retrouver sa fille, une adolescente rebelle dont il craint qu’elle n’ait hérité de la même maladie que lui. Les super-pouvoirs sont ici envisagés comme une malédiction, une pathologie qui retire à l’individu tout droit à une existence humaine et normale alors qu’il est lui-même confronté à une épreuve humaine, trop humaine. C’est ainsi que le festival Fantasia aura donné à voir, entre autres choses, d’inhabituelles et originales visions de la mythologie des super-héros.

Mais la programmation, riche, dense et hétéroclite, aura également proposé toutes sortes de plaisirs, coupables ou non. Celui de découvrir les deux titres coréens qui furent remarqués au dernier Festival de Cannes, Train to Busan, de Yeon Sang-ho (dont on vit aussi le film d’animation qu’il réalisa auparavant, Seoul Station), et The Strangers, de Na Hong-jin, d’excellents films d’arts martiaux (Kill Zone 2, de Pou-Soi Cheang), de remarquables anime japonais dont Harmony, de Takashi Nakamura, les délires du cinéma underground québécois, l’étonnant film d’animation canadien, fabriqué avec des moyens dérisoires, Nova Seed, de Nick Di Liberto, et le dernier chef-d’œuvre en date de Kiyoshi Kurosawa, Creepy. Fantasia reste l’un des meilleurs baromètres des mythologies populaires du cinéma d’aujourd’hui.