« Est-ce un message que nous adresse le gouvernement ? » Antoine Kaburahe, directeur d’Iwacu, le dernier média burundais indépendant, s’interroge. Jean Bigirimana, journaliste pour Iwacu, a disparu vendredi 22 juillet dans l’après-midi. Ni le groupe de presse, ni les associations, n’a de nouvelle depuis. Quelques jours plus tard, le 30 juillet, Boaz Ntaconayigize, journaliste de la radio Bonesha exilé à Kampala, est poignardé dans les rues de la capitale ougandaise. Si les raisons de ces deux actes restent inconnues, beaucoup y voient un nouveau signe de la censure qu’impose le gouvernement à ceux qui défendent la parole publique au Burundi.

« J’ai été le dernier patron de presse à partir, le gouvernement a dû croire à mon départ que c’en était fini d’Iwacu », dit Antoine Kaburahe, aujourd’hui exilé en Belgique. Un par un, les patrons de presse burundais ont fui le pays, à la suite de la destruction des radios indépendantes durant la tentative avortée de coup d’état, les 13 et 14 mai 2015.

« Mais Iwacu a continué, on n’a pas arrêté, et c’est peut-être pour ça que Jean Bigirimana a disparu », poursuit-il. Le soir de sa disparition, sa rédaction est avertie par un appel anonyme, alors que des témoins attestent avoir vu des agents des services de renseignement burundais (SNR) le faire monter à bord d’une camionnette.

Les services de renseignement soupçonnés

« En tout cas ce qui est sûr, c’est qu’il est encore en vie », veut rassurer Antoine Kaburahe, dont le journal enquête et a lancé un appel à témoins. Mais une autre source se veut moins sûre : « Jean Bigirimana a été torturé, son état est grave, peut-être qu’il est mort ». La police et le SNR, pointés du doigt par Reporters Sans Frontières, démentent encore aujourd’hui détenir le journaliste.

« Iwacu est encore une fois victime d’avoir une opinion différente de celle du gouvernement, se désole Innocent Muhozi, président de l’Observatoire de la Presse Burundaise (OPB) et directeur de la radio-télévision Renaissance, en exil depuis juillet 2015. Les journalistes sont témoins de la réalité de ce qu’il se passe, et le gouvernement ne veut pas que l’on sache ».

Cette censure est une gageure du régime burundais, qui, étape par étape depuis la réélection controversée de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, a enterré le paysage médiatique du pays. « D’abord, ils ont fait taire les médias locaux, les 13 et 14 mai, analyse un journaliste sous le sceau de l’anonymat. Et puis ça a été les médias internationaux, RFI et France 24 notamment, avant que tous ceux qui ne sont pas d’accord soient pris pour cible. »

Comme toutes les radios indépendantes, la Radio Publique Africaine (RPA) a été prise pour cible les 13 et 14 mai 2015. | JENNIFER HUXTA / AFP

Fin juin 2016, Le Monde Afrique s’était entretenu avec Jean Bigirimana, à l’époque premier témoin de ce rétrécissement de l’espace public.

« Le 13 mai 2015, le jour du coup d’Etat manqué, les putschistes ont commencé par détruire et par incendier les radios de la mouvance gouvernementale, dont la radio REMA où je travaillais », racontait le journaliste aujourd’hui disparu.

Quelques jours plus tard, les forces loyalistes à Pierre Nkurunziza prenaient le dessus sur les putschistes et Jean Birigimana se retrouve dépourvue de travail. « Les journalistes sont partis en débandade, nous avons été mis en chômage forcé et nous n’avons pas eu de salaire, dit alors Jean Bigirimana. Puis, lorsque les loyalistes ont repris le pouvoir, ça a été au tour des radios de l’opposition d’être incendiées. »

Toutes les radios indépendantes ont été fermées. En février 2016, deux d’entre elles, REMA FM et Isanganiro, ont été autorisées à rouvrir. Pour Jean Bigirimana, le Burundi d’avant-crise « était un pays qui avait un certain pluralisme médiatique ». Le journaliste avait partagé en juin sa vision du journalisme, libre et pluraliste, un mois avant d’en subir les conséquences dramatiques. « Le projet de web radio lancé par Iwacu, qui regroupe des journalistes de tendance diverses, de REMA, de Bonesha, de Isanganiro, est une initiative très positive, qui me permettra de développer mes compétences journalistiques dans un journal qui promeut la diversité. »

Alors que l’espace médiatique se réduit, la diffusion des idées du régime, elle, s’est fortement intensifiée ces derniers mois. « Il y a une vraie campagne de désinformation menée par le régime, continue le journaliste sous le sceau de l’anonymat. La tournée au Canada du directeur de la communication de la présidence, Willy Nyamitwe, et du conseiller du président Luc Michel en est un bon exemple. »

Ce dernier, figure de l’extrême droite belge, que les proches du régime présentent comme un « géostratège » mais dont les compétences restent floues, s’est affiché à plusieurs occasions ces derniers mois en compagnie du président Pierre Nkurunziza. À Montréal, Willy Nyamitwe et lui défendent depuis quelques jours les « vrais enjeux de la crise au Burundi », dans un événement présenté comme une « conférence-débat » organisée « en collaboration avec l’ambassade du Burundi au Canada ».

Le régime de Pierre Nkurunziza veut verrouiller l’information qui sort du Burundi. « À cause du manque de pluralisme dans les médias, les gens se sont rapidement tournés vers les réseaux sociaux, explique Patrick Nduwimana, directeur de Bonesha FM, une radio indépendante burundaise. Et du coup, ils essaient d’occuper ces réseaux sociaux, avec des mensonges, de la désinformation. » Si sa radio continue d’émettre, une fois par jour et le temps d‘un journal d’une trentaine de minutes, lui et beaucoup de journalistes de la radio ont du prendre le chemin de l’exil, au Kenya, au Rwanda, et en Ouganda, principalement.

Boaz Ntaconayigize poignardé à Kampala

C’est précisément à Kampala, samedi 30 juillet dans la soirée, que le journaliste de Bonesha FM, Boaz Ntaconayigize a été agressé. Blessé à coups de couteau et de matraques, il est laissé pour mort dans un caniveau, mais s’en sortira. « Il y avait quatre hommes, dont deux Burundais, Boaz les a reconnu, raconte son rédacteur en chef. Une semaine avant, il avait mis en garde la police et dénoncé la présence à Kampala de personnes qu’il suspectait d’être des agents du régime ».

Cette présence hors des frontières d’agents du régime est monnaie courante dans les pays frontaliers du Burundi. En juin 2016, l’ONG Human Rights Watch a dénoncé des viols collectifs de Burundais dans les camps de réfugiés, en Tanzanie, par des Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Des agressions d’opposants au régime et de journalistes ont aussi été relayées en Ouganda et au Kenya. Le but ? « traquer et faire du mal aux journalistes en exil », estime le directeur d’une des rares radios indépendantes du Burundui, Patrick Nduwimana.

Contactés par Le Monde Afrique, ni le porte-parole de la police burundaise, Pierre Nkurikiye, ni le conseiller à la présidence du Burundi, Willy Niyamitwe, ni le directeur du Conseil National de la Communication (CNC) du Burundi, Ramadhan Karenge, n’ont répondu à nos sollicitations. Le 25 juillet, sur les réseaux sociaux, Pierre Nkurikiye expliquait que Jean Birigirimana n’était pas détenu par les forces de sécurité. Et d’ajouter : « Sa famille invitée à collaborer pour l’enquête ».

#FreeJeanBigirimana
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Images : Spot publié par Iwacu appelant à la libération de Jean Bigirimana