Le président du gouvernement, Mariano Rajoy (au centre), et le secrétaire général du PSOE, Pedro Sanchez, à Madrid, le 2 août. | SUSANA VERA / REUTERS

Six jours après avoir accepté la « mission » que lui a confiée le roi Felipe VI de former un gouvernement, le premier ministre espagnol par intérim, le conservateur Mariano Rajoy, semble avoir décidé de prendre les choses en main. Son objectif : constituer une majorité au sein du Parlement afin de remporter l’investiture des députés pour former un nouveau gouvernement.

Arrivé en tête des élections législatives du 26 juin, avec 33 % des suffrages et 137 des 350 députés de la Chambre basse, après celles, infructueuses, du 20 décembre 2015, le président du Parti populaire (PP, droite) s’est réuni, mercredi 3 août, avec le président du parti Ciudadanos (centriste, libéral et antinationaliste), Albert Rivera.

Les trente-deux députés centristes ne sont pas suffisants pour lui donner la majorité absolue, mais M. Rajoy peut difficilement conserver le pouvoir sans leur soutien. Il s’est félicité de l’ouverture d’un « canal de communication permanent » avec M. Rivera. Tous deux ont abordé la possibilité de négocier le budget de l’Etat pour l’année 2017 et le plafond des dépenses, mais aussi de sceller un « pacte national » pour faire face au défi posé par les indépendantistes catalans, engagés dans la voie d’une sécession unilatérale.

«  Aujourd’hui, nous avons fait un premier pas, et les longues marches commencent toujours par un premier pas », affirme Mariano Rajoy

« Aujourd’hui, nous avons fait un premier pas, et les longues marches commencent toujours par un premier pas », a déclaré M. Rajoy, souriant, à la sortie de la réunion, lors de laquelle il a remis à M. Rivera un document très général recensant dix grands axes de réforme pour de possibles négociations. « Personne n’avait dit que cela allait être facile et rapide… »

Son ton optimiste a tranché avec le discours qu’il avait tenu la veille. A l’issue d’une réunion stérile avec le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE, gauche), Pedro Sanchez, M. Rajoy avait considéré, mardi, que le maintien du no des socialistes à son investiture conduisait inexorablement à « la tenue de troisièmes élections ». « Aujourd’hui, je pars d’ici en sachant que je peux négocier quelque chose. Mardi, il n’y avait pas de négociations », a-t-il expliqué.

Cependant, après sept mois de gouvernement intérimaire, rien n’est encore joué en Espagne. Bien que son entrevue avec Albert Rivera ait été plus féconde, l’investiture de Mariano Rajoy comme chef de gouvernement est encore loin d’être assurée.

Ciudadanos renvoie la balle dans le camp des socialistes

Le dirigeant de Ciudadanos, Albert Rivera, s’adresse à la presse après son entrevue avec Mariano Rajoy, à Madrid, le 3 août. | SUSANA VERA/REUTERS

Si Albert Rivera s’est dit prêt à négocier certaines mesures « une fois qu’il y aura un gouvernement », il continue à refuser de soutenir l’investiture de Mariano Rajoy. Tout juste se dit-il prêt à s’abstenir lors du vote, ce qui pourrait permettre la formation d’un gouvernement minoritaire de M. Rajoy. Pour M. Rivera, la figure de l’actuel chef de l’exécutif est incompatible avec son engagement en faveur du « renouvellement » de la scène politique espagnole, alors que de nombreuses affaires de corruption ont éclaboussé des cadres du PP sous sa présidence.

Ciudadanos a donc renvoyé la balle dans le camp des socialistes, cherchant à jouer les médiateurs entre les deux principaux partis espagnols, et à faire pression sur Pedro Sanchez pour qu’il favorise l’investiture de M. Rajoy par l’abstention du groupe PSOE. « Si tu ne peux pas gouverner, te présenter à l’investiture ou avoir une majorité, il faudra bien permettre que quelqu’un gouverne pour que le pays puisse se mettre en marche », a déclaré M. Rivera avant d’insister sur le fait que « le non, non, non inflexible » du PSOE conduisait au « blocage de l’Espagne et à une répétition sans fin des élections ».

Dans un communiqué, les socialistes ont demandé à Ciudadanos du « respect » pour leur décision de voter non à l’élection de M. Rajoy. La direction du PSOE subit déjà des pressions de plusieurs barons régionaux, d’anciens ministres socialistes ou encore de l’ex-premier ministre Felipe Gonzalez. Ce dernier a conseillé, dans un entretien, de « laisser former un gouvernement » à Mariano Rajoy, « même s’il ne le mérite pas ».

Pour la direction socialiste, au contraire, ce n’est pas au PSOE, qui doit affronter la concurrence, sur sa gauche, de Podemos, de pallier « l’incapacité du PP à trouver des alliés ». Pas question, non plus, pour M. Sanchez, de faciliter la tâche à M. Rajoy, alors que lui-même a essuyé un revers cinglant au Parlement en mars, en se présentant, en vain, à l’investiture.

« Si les droites ne se mettent pas d’accord, qu’elles ne comptent pas sur la gauche »,

a résumé M. Sanchez, mardi.

Cependant, l’arithmétique rend difficile un accord d’investiture sans le concours du PSOE. Même avec un vote favorable de Ciudadanos et de la Coalition canarienne, les deux formations les plus ouvertes au dialogue, Mariano Rajoy aurait encore besoin du soutien de six députés pour atteindre la majorité absolue. Le Parti nationaliste basque (PNV, droite) refuse de lui donner celui de ses cinq élus, qui plus est à l’approche des élections régionales basques, le 25 septembre. Quant aux nationalistes catalans, ils sont en froid avec Madrid…