Le dernier patient atteint d’Ebola au Sénégal a été guéri en septembre 2014. C’était aussi le seul qu’a connu le pays durant la récente épidémie qui a frappé bien plus durement ses voisins comme la Guinée, le Sierra Leone ou le Liberia, tuant 11 000 personnes en deux ans. Il faut dire que le Sénégal est un bon élève en matière de prévention épidémiologique, félicité à plusieurs reprises par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’efficacité et la rapidité de sa réaction contre le virus.

Mais la menace Ebola n’est pas écartée. En Casamance, région qui jouxte la Gambie, la Guinée-Conakry et la Guinée-Bissau, la frontière est poreuse et les autorités redoublent de vigilance. En particulier depuis qu’en Guinée, huit cas ont été découverts en mars 2016, après l’extinction supposée du virus en décembre 2015. Différentes mesures sanitaires ont ainsi été prises avec l’appui de l’Unicef, en particulier le déploiement de l’application M-Ebola. Entretien avec Barnabé Gning, médecin chef de la région de Kolda, en Casamance.

A quoi sert M-Ebola ?

Barnabé Gning Le but de l’application est de permettre aux agents de santé sur le terrain de faire remonter rapidement des informations de diagnostic lorsqu’ils font face à un cas suspect d’Ebola. Le système, qui se base sur la technologie SMS, sert aussi à envoyer des messages de sensibilisation et à poser des questions aux agents de santé dans toute la région afin de renforcer la surveillance épidémiologique communautaire.

Lorsqu’un agent de santé est en présence d’un cas à risque Ebola, que doit-il faire ?

Si le patient présente des symptômes comme fièvre, hémorragies, vomissements, vertiges, diarrhées, l’agent de santé doit répondre par SMS à une série de questions ciblées afin d’établir un diagnostic. Les réponses sont envoyées aux autorités sanitaires du district et de la région qui évalueront la probabilité du risque d’infection en s’appuyant sur le protocole opérationnel élaboré par le centre des opérations d’urgence sanitaire du ministère de la santé. Nous confrontons alors les signes détectés et définissons si c’est un cas suspect, probable ou négatif. Ensuite une investigation permettra de confirmer ou pas le cas.

Que se passe-t-il si le cas est suspect ?

Dans ce cas, deux opérations sont déclenchées : le médecin du département dépêche l’équipe d’investigation qui vérifie la constance des signes décrits, puis procède à une analyse clinique du patient. Ensuite une prise de contact est établie avec le Centre d’opération d’urgence sanitaire à Dakar qui procède à d’autres analyses. Un prélèvement de sang est envoyé au laboratoire national de référence.

En quoi cette application permet-elle d’améliorer la prévention contre une épidémie du virus ?

M-Ebola permet d’abord de raccourcir les délais de prise de décision. Ensuite, cela permettra une sensibilisation massive de la population aux risques d’Ebola. L’application enverra bientôt des SMS d’alerte et d’information. Le SMS est la technologie la plus efficace dans ce cas. Même dans les régions reculées, la plupart des familles possèdent au moins un téléphone portable. Nous prévoyons aussi de développer à l’avenir cette technologie d’information de masse pour l’appliquer à d’autres maladies, notamment celles qui sont sexuellement transmissibles.

Des cas ont été détectés en mars en Guinée. Comment vous prémunissez-vous ?

Nous avons formé les médecins et infirmiers, sans doute 80 % du personnel médical. Mais aussi, depuis avril 2014, une centaine de comités de veille et d’alerte communautaire. Ils sont désignés par leur communauté, éparpillés dans la région, en particulier dans les villages proches des zones épidémiques et des frontières.

A Malabo, en Guinée équatoriale, opération de prévention avant un match de foot entre le Sénégal et l’Algérie, en 2015, pendant la coupe d’Afrique. | ISSOUF SANOGO/AFP

Par ailleurs, nous avons identifié tous les points de passage avec la Guinée-Conakry et la Guinée-Bissau pour y déployer un dispositif de contrôle sanitaire, depuis 2014. A chaque passage de la frontière, tous doivent se laver les mains au savon, à l’eau chlorée et accepter qu’on prenne leur température au thermoflash. Si celle-ci fait craindre un risque Ebola, nous procédons à un examen physique. Puis, si nécessaire, une investigation biologique avec prélèvement de sang sera réalisée dans un centre de transfert des cas suspects que nous avons construit en 2015. C’est un local qui se situe à Kalifou, près de la frontière guinéenne, et permet d’isoler un cas suspect pour poursuivre les analyses. Depuis la construction du centre, une quinzaine de cas suspects y ont été traités. Le dernier remonte au début mars, mais s’est heureusement révélé négatif.

Avez-vous mis en place d’autres mesures ?

Nous veillons à ce que la population aussi soit formée. Le 24 mars, nous avons réalisé près de la frontière un exercice de simulation. Le scénario a été écrit par le commandant de la zone militaire de Kolda, c’était la prise en charge d’un cas suspect. Deux cents personnes ont participé à l’exercice. Des médecins, des infirmiers, des agents d’hygiène, la police des frontières, l’armée, les pompiers, la presse et la population. Le rôle des militaires était, avec les douaniers, d’empêcher les mouvements de foule et la traversée de la frontière. Les gendarmes assuraient le cordon de sécurité. Les équipes sanitaires s’occupaient du transport et du traitement du patient. A la fin, nous avons organisé un point de presse pour permettre à la population de prendre la parole et poser des questions.

Il resterait 20 % de personnel non formé… N’est-ce pas un risque si Ebola réapparaît ?

Ebola nous a pris par surprise par le passé, mais les réactions ont été extrêmement rapides. La première séance de formation des personnels de santé dans la région de Kolda a eu lieu moins de quarante-huit heures après la déclaration officielle d’épidémie en Guinée, en mars 2014. Je m’en souviens, c’était un samedi matin. Dès le lundi après-midi, nous avions démarré une formation en cascade dans les structures de santé en nous basant sur des modules du ministère de la santé. Les six mois suivants, ces modules ont été actualisés et adaptés aux réalités du terrain. C’est un effort que nous devons poursuivre afin d’améliorer la prévention. Nous devons renforcer les interventions dans les communautés et multiplier les exercices de simulation.

Prochain épisode A Dubréka, une saison noire et humide sous la férule d’Ebola

Le sommaire de notre série « Un combat pour la vie »

Voici, au fur et à mesure, la liste des reportages de notre série d’été à la rencontre des femmes du Sahel. Le voyage va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad. En tout, 27 épisodes, publiés du 1er août au 2 septembre 2016.

Cet article est un épisode de la série d’été du Monde Afrique, « Un combat pour la vie », qui va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad, 4 000 km que notre reporter Matteo Maillard a parcourus entre avril et juin 2016.