Petite par sa taille, la maison d’édition française Piranha a-t-elle présumé de sa voracité ? Fondée en 2014, elle a publié une quarantaine de titres, de la littérature et des essais, avec un prisme fort venant d’Allemagne. Il y a deux ans, elle a acquis les droits d’un brûlot devenu depuis un best-seller outre-Rhin : Le Fascisme islamique, de l’auteur germano-égyptien Hamed Abdel-Samad, dont la parution était prévue le 16 septembre. Le Point a révélé, dans son édition en ligne du 3 août, que le patron de Piranha, Jean-Marc Loubet, avait renoncé à publier l’ouvrage, suscitant la colère de l’auteur.

Agé de 44 ans, fils d’un imam, ancien membre des Frères musulmans, Hamed Abdel-Samad est devenu une des figures incontournables de la critique de l’islam en Allemagne. Il vit sous protection policière, en raison de menaces reçues à cause de ses prises de position.

Cet essai, publié chez l’éditeur généraliste Droemer Knaur, a reçu un accueil mitigé de la communauté scientifique, mais a rencontré un succès populaire. M. Abdel-Samad y fait des raccourcis historiques et esquisse des comparaisons entre l’idéologie fasciste et l’islamisme, en remontant jusqu’aux origines du Coran. En France, sa démarche est proche de celle du philosophe Michel Onfray, qui entend penser l’islam en athée.

Le choix de M. Loubet de renoncer à la publication du Fascisme islamique est d’autant plus surprenant que les frais d’achats de droits et de traduction s’élèvent à 12 000 euros environ, une somme non négligeable pour une petite structure, qu’il va devoir passer en pertes et profits. En janvier 2016, le livre a été publié aux Etats-Unis, sans provoquer de tumulte.

Mais, pour justifier cette décision, M. Loubet avance des raisons de sécurité. « Je ne mesurais pas le risque que cela aurait fait peser sur mon personnel », dit-il. « En deux ans, la situation a complètement changé », poursuit-il, et, après l’attentat de Nice, l’émergence de réactions d’hostilité à l’égard de la population musulmane a servi de déclic. « Dans le contexte actuel, le livre de Hamed Abdel-Samad risque plus d’être récupéré que d’apporter matière à réflexion », estime-t-il.

M. Loubet ne veut pas polémiquer avec son auteur, qu’il n’a jamais rencontré. Mais dans un courriel envoyé fin juillet à son agent, il a aussi écrit qu’il ne souhaitait pas « apporter de l’eau au moulin » de l’extrême droite. C’est cette explication qui a fait bondir M. Abdel-Samad, ainsi que la presse allemande qui en a eu connaissance. Pour l’hebdomadaire Der Spiegel, « ce livre a été controversé en Allemagne (…). On peut débattre là-dessus. c’est pourquoi de tels livres existent. Mais il faut vouloir ce débat. »

En France, le livre pourrait toutefois paraître, si l’auteur, l’éditeur allemand et l’agent s’accordent sur un nouvel éditeur. Pour l’instant, seul David Serra, responsable des éditions Ring, s’est manifesté en contactant l’auteur et l’éditeur français. « Ce sont des thématiques qui nous intéressent », a-t-il affirmé.