Donald Trump lors d’un meeting à Jacksonville, en Floride, le 3 août. | MARK WALLHEISER / AFP

La dernière polémique déclenchée par Donald Trump avec Khizr et Ghazala Khan, couple de musulmans d’origine pakistanaise dont le fils a été tué alors qu’il servait dans l’armée américaine en Irak en 2004, passe mal au pays de l’oncle Sam. Lors de la convention démocrate à Philadelphie le 28 juillet, Khizr Khan avait dénoncé sur la scène les propos hostiles aux musulmans.

Un discours durant lequel sa femme n’avait pas dit un mot et auquel le milliardaire n’avait pas tardé à réagir. « Elle se tenait là, elle n’avait rien à dire, peut-être qu’elle n’était pas autorisée à dire quoi que ce soit », avait alors lancé le candidat républicain. Il avait ajouté avoir fait, lui, « beaucoup de sacrifices », avoir « travaillé très, très dur » et levé des « millions de dollars » pour les anciens combattants. Des déclarations qui avaient poussé Mme Khan à expliquer que, si elle n’avait pas pris la parole, c’est qu’elle était débordée par l’émotion de voir des photos de son fils dans la salle.

Comme le souligne le New York Times, Donald Trump, en s’attaquant à la famille d’un soldat tombé au combat, a pris des risques pour sa campagne. Notamment dans les swing states, les Etats où le scrutin est traditionnellement serré et où le résultat peut faire basculer la victoire dans un camp ou l’autre. Certains militaires et proches de militaires ont pu être consternés par des propos vus par certains comme antipatriotiques.

« Aucun respect pour les anciens combattants »

Pire, Donald Trump a aggravé la situation mardi, lors d’un meeting en Virginie, en blaguant face à un ancien combattant qui lui offrait sa prestigieuse médaille récompensant les soldats blessés au combat. Le milliardaire – qui n’a jamais servi dans l’armée – a confié en avoir toujours voulu une, tout en estimant « plus facile » de l’obtenir de cette façon. Comme le révélait le New York Times il y a quelques jours, M. Trump n’a pas échappé à la guerre du Vietnam à la faveur d’un heureux tirage au sort comme il l’affirmait. Il se serait fait réformer en 1968, juste après avoir été diplômé de son université (ce qui le rendait éligible à la conscription), pour une excroissance osseuse au talon.

S’il veut remporter l’élection présidentielle, le magnat de l’immobilier doit pourtant s’assurer de gagner dans des zones où les électeurs entretiennent des liens étroits avec l’armée : l’est de la Virginie, le nord de la Floride, le New Hampshire, et plusieurs villes situées à proximité de bases militaires en Caroline du Nord, en Arizona et dans le Colorado.

Dans la ville de Colorado Springs, où l’on trouve un grand nombre d’installations militaires, Marianne Quast, mère d’un vétéran de l’armée de l’air américaine, assure trembler à l’idée que son fils serve sous un président aussi versatile que Donald Trump. « Je crains honnêtement que ne se déclenche une troisième guerre mondiale […] Il est clair que Trump n’a aucun respect pour les anciens combattants, peu importe ce qu’il en dise. »

« Le vrai problème, c’est que M. Trump ait attaqué la mère d’un soldat mort au combat, à cause des commentaires faits par le père au nom de la famille, estime pour sa part Steven SanPedro dans le New York Times, un vétéran des deux guerres en Irak. Ça aurait été différent si ses critiques se concentraient sur les propos, mais ses attaques étaient sur la personne. »

« Vous attaquez notre sacrifice »

Des associations d’anciens combattants habituellement apolitiques sont sorties de leur silence après les mots prononcés par Donald Trump contre la famille Khan. Dans un communiqué envoyé à ses 1,3 million de membres et cité par le site The Atlantic, le responsable de l’organisation Veterans of Foreign Wars of the United States (VFW), Brian Duffy, estime que Trump a « dépassé les limites » :

« Année électorale ou pas, le VFW ne peut tolérer qu’on réprimande un membre d’une famille de soldat tombé au combat pour avoir exercé son droit de parole ou d’expression […] Donner sa vie à la nation est le plus grand sacrifice qui soit, suivi de près par toutes les familles qui ont perdu quelqu’un dans ces conditions, et qui ont le droit de faire entendre leur voix. »

Une lettre ouverte au candidat républicain, signée par 23 familles de soldats tombés au combat, en Irak, en Afghanistan ou au Vietnam, qualifie de « répugnantes » les critiques de M. Trump envers la famille Khan. « Lorsque vous remettez en question le chagrin d’une mère, en laissant entendre que sa religion, et non pas sa peine, l’empêchait de prendre la parole devant des milliers de personnes, vous nous attaquez. Quand vous dites que votre travail d’investisseur immobilier est semblable à notre sacrifice, vous attaquez notre sacrifice. » « Cela va au-delà de la politique. Il s’agit de la décence. Ce genre de décence que vous moquez comme étant “politiquement correcte” », continuent-ils.

Il paraît encore difficile d’évaluer à quel point le vote militaire sera décisif dans la course à l’élection présidentielle, mais M. Trump semblait avoir un appui de taille parmi les anciens combattants et leurs familles, généralement plus enclins à voter républicain. Comme le souligne le New York Times, un sondage réalisé par l’institut Gallup en juillet, avant les polémiques sur la famille Khan, montre que l’électorat des anciens combattants était déjà divisé sur Donald Trump. 50 % d’entre eux seulement le percevaient positivement. A l’inverse seulement 27 % des anciens combattants disaient avoir une impression favorable d’Hillary Clinton. Selon Neil Newhouse, ancien conseiller de Mitt Romney lors de la campagne de 2012, le vote des vétérans pourrait avoir un poids plus important cette année, en raison du rôle central des questions de sécurité nationale dans la campagne.

M. Trump a en tout cas tenté de contrer les critiques dès mercredi, en rencontrant les familles de soldats morts au combat (« des gens incroyables ») avant un meeting en Floride, dans la Jacksonville Veterans Memorial Arena.